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Avignon : un festival peut en cacher un autre

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Jusqu'au 25 juillet, Avignon est la capitale mondiale du théâtre. Mais comme chaque été, la ville est au bord du divorce. Le "in", la sélection officielle, et le "off", joué dans les rues, cohabitent tout en se dédaignant. Un cloisonnement qui ne devrait plus avoir lieu d'être.

En un temps où nombre de festivals d'été mettent la clé sous la porte, la France réussit à avoir deux festivals dans la même ville qui se regardent en chiens de faïence, l'un jetant sur l'autre l'œil condescendant de celui qui se demande pourquoi un intrus vient marcher sur ses plates-bandes. Cela se passe à Avignon, qui se transforme chaque été en capitale mondiale du théâtre depuis que Jean Vilar a donné le coup d'envoi des festivités, en 1946, dans un pays alors prêt à relever tous les défis.

Lorsqu'il a présenté le programme de la 69e édition du Festival d'Avignon (le « in »), le maître de cérémonie, Olivier Py, a commencé par projeter sur un écran la carte de tous ces lieux d'ordinaire ouverts à des rencontres culturelles d'été et qui ont dû fermer, pour cause de subventions réduites comme peau de chagrin. On se serait cru face à la carte des friches industrielles. Olivier Py n'a pas caché que c'était « du jamais-vu dans l'histoire » et que le montage budgétaire devenait « complexe » - ce qui est un doux euphémisme puisque la version 2015 est réduite de deux jours (vingt-deux, au lieu de vingt-quatre). Il serait bien que les officiels de la culture en déplacement à Avignon pour soigner leur réputation ne l'oublient pas. Olivier Py aime répéter que « la culture n'est pas une dépense mais un moteur économique ». On s'étonne qu'une telle vérité n'ait pas encore statut d'évidence en haut lieu.

Acte de résistance

La situation est telle que, une fois présentée la carte de la débâcle, Olivier Py a égrené la liste novarinienne des mécènes, sponsors et annonceurs dont dépend de plus en plus le festival, comme l'avait fait Pierre Lescure lors du Festival de Cannes. L'artiste a effectué sa prestation avec un humour décalé, au point d'assurer, sans rire, que ce mélange des genres constituait « une certaine idée de la République et de l'Europe ». L'idée qui l'a conduit à poser en smoking et talons aiguilles rouges pour une pub de la BNP, peut-être ?

Jean Vilar disait jadis : « Réagir contre l'envahissement des méthodes commerciales dans le domaine de l'art, il m'a toujours semblé que c'était le premier devoir de l'artiste. » D'autres l'ont oublié. Certes, Avignon n'est pas Cannes. Le théâtre n'est pas devenu ce lieu régi par le bling-bling, les marques de prestige, les mannequins en goguette, le luxe ostentatoire et les gogos du people médiatique. Reste que les temps sont durs, pour les artistes comme pour le public, et que cela se fait sentir, dans le festival officiel, le « in », et encore plus dans le « off », qui fête ses 50 ans, où les artistes et les compagnies qui font le voyage à Avignon jouent leur peau, assurant le spectacle dans des conditions qui forcent l'admiration.

Et le « off », au fait, qu'en a donc dit Olivier Py lors de sa présentation à la presse ? Rien. Ni un mot ni une allusion, comme s'il n'existait pas. Il s'est pourtant souvent produit dans ce festival parallèle où nombre de futures vedettes des planches ont fait leurs premiers pas. Sa dernière prestation, dans le rôle de Miss Knife, remonte à 2013, l'année même où il était nommé à la tête du « in ». Depuis, il a oublié son itinéraire, et il s'est glissé comme tant d'autres avant lui dans la peau d'un personnage qui s'interdit d'ouvrir les yeux sur la réalité de ce qu'est devenu Avignon.

Les spectateurs, eux, vont du « in » au «off» sans se demander si l'un est honorable et l'autre, méprisable. Vu la quantité de spectacles proposés, ils vont même surtout dans le « off », en picorant en fonction de leurs goûts, de leurs appétences, de leurs intérêts, et aussi de leurs finances. Il ne leur viendrait sans doute jamais à l'esprit que les deux structures sont à ce point séparées. Lorsque Greg Germain, président d'Avignon Festival & Compagnies (dénomination officielle du « off »), a été interrogé sur ses rapports avec le « in », lors de sa conférence de presse, il a répondu par un sourire silencieux, avant d'ajouter qu'il avait rencontré deux fois Olivier Py et que les échanges s'étaient arrêtés là.

Le divorce, il est vrai, remonte à loin. La date précise est le 10 juillet 1966, lorsque André Benedetto, jeune Marseillais fou de théâtre, alors âgé de 32 ans, prend le taureau par les cornes. Il décide de jouer Statues au Théâtre des Carmes pendant la programmation officielle du festival, sans demander l'avis de Jean Vilar, avec qui il entretenait pourtant de bonnes relations, nonobstant leurs désaccords. Dans le contexte de l'époque, cela relevait du blasphème. Ce fut l'acte de naissance de ce que l'on appela le « hors festival » puis le « off », conçu alors comme un acte de résistance face à un festival officiel jugé boursouflé, conventionnel et endormi. Benedetto, qui avait créé le Théâtre des Carmes en 1963, rêvait d'une culture engagée, iconoclaste, impertinente. Il publia un manifeste imprégné de cet état d'esprit (et des illusions de l'époque) proposant de mettre « les classiques au poteau et la culture à l'égout ». Ses coups de gueule mémorables ne l'empêchèrent pas d'être programmé dans le « in », notamment en 1973, avec la Madone des ordures.

Acte fondateur

Son ami Philippe Caubère a dit de Benedetto qu'il était « un chef indien, un chef de bande, un gitan ». En 2011, au Théâtre des Carmes, il a consacré un spectacle intitulé Urgent crier ! à ce fou de théâtre, jongleur de mots, révolté intransigeant, poète incandescent, dramaturge qui s'est souvent battu à mains nues contre les bureaucrates du théâtre. Benedetto en a subi une marginalité qu'il a toujours préférée au confort d'une réussite arrachée au prix de concessions et de courbettes. Dans ce spectacle, Caubère lisait Benedetto racontant le miracle d'Avignon né des mains de Jean Vilar, dans le scepticisme général ; Benedetto rendant hommage à Antonin Artaud plongé dans les tréfonds de sa personnalité torturée pour assouvir sa soif de création ; Benedetto poète de la révolte pure et dure, empreinte des errements de son siècle ; Benedetto révulsé par le traitement réservé par les pseudo-révolutionnaires de Mai 68 à Jean Vilar, alors traité comme un ennemi du peuple par des enfants de bourgeois. André Benedetto est mort le 13 juillet 2009, au beau milieu d'un rendez-vous annuel dont il était devenu un pivot, reconnu par tous et cependant ignoré des petits marquis du « in ». Cinquante ans après son acte fondateur, le « off » est devenu un acteur incontournable d'un Festival d'Avignon, mais dans des conditions indignes d'une telle institution.

Approche complémentaire

Si le « in » se plaint (à juste titre) de la baisse des subventions, le « off » n'en a quasiment aucune. En général, les ministres de la Culture font un petit détour par le « village du "off" », saluent leurs animateurs, puis s'en vont. François Hollande s'est même payé le luxe d'y passer une journée, mais, quand Greg Germain a évoqué la question qui fâche, on lui répondit par un silence assourdissant, comme s'il était saugrenu d'évoquer pareil sujet en un tel lieu.

Au fil des ans, pourtant, le « off » a pris son envol. Il draine un nombre considérable de gens venant glaner ces « petits » spectacles qui font les grandes découvertes. On les voit dans les rues d'Avignon circuler avec leur (gros) guide sous le bras, s'arrêter ici ou là, chercher la perle à ne pas rater, échanger à la terrasse d'un café avec un voisin sur différentes programmations, discuter avec les artistes. Plusieurs semaines durant, la ville est ainsi transformée en forum permanent et ses murs sont pris d'assaut par des affiches en tout genre.

Certains, parfois, s'en plaignent. Ils considèrent qu'une partie des spectacles du « off » relève d'une autre catégorie, qu'il y a trop de comiques ou de « vu à la télé », qui viennent entretenir une notoriété que d'autres n'auront jamais. Ce n'est pas faux. Même si la solution n'est pas évidente, sans doute serait-il souhaitable de mettre un peu d'ordre et de cohérence dans un programme dont l'abondance masque parfois les carences. De même serait-il temps d'en finir avec le racket auxquels sont soumis les candidats au « off », parfois obligés de payer des sommes indécentes pour jouer dans des lieux pas forcément appropriés. Pour nombre de petites compagnies, le passage par la case « Avignon » est décisif. Un minimum de succès et c'est la possibilité d'avoir des commandes et de suivre un chemin qui sera toujours chaotique, car c'est la loi du genre.

Quelques-uns de ces artistes franchiront peut-être la porte de la notoriété pour avoir accès sinon à la cour d'honneur - le must -, du moins à l'une de ces salles prestigieuses où officient les grands noms sortis de l'anonymat, ou tout simplement à la reconnaissance du public. Thomas Ostermeier est de ceux-là. Depuis plusieurs années, le directeur de la Schaubühne de Berlin est l'invité du Festival d'Avignon. Dans un livre d'entretien*, il explique sa philosophie (« J'essaie de penser de façon dialectique »), son approche (« Je ne déconstruis pas, je reconstruis ») et son engagement (« Il faut recommencer de zéro, se remettre à raconter des histoires qui parlent du monde d'aujourd'hui, de sa réalité sociale et politique »). En lisant Ostermeier, on ne peut que regretter le cloisonnement des deux festivals et le manque d'audace dans la programmation du « in », qui reste souvent « parisienne », difficile d'accès, soumise aux codes d'une prétendue avant-garde qui se contemple le nombril. Une approche complémentaire entre le « in » et le « off » serait bienvenue, afin que les deux expériences apprennent l'une de l'autre.

Dans un texte intitulé : « A quoi sert le théâtre ? », paru dans la Rue des Poètes en mai 2000, André Benedetto écrivait : « Plus la tempête est grande sur la scène, plus le héros est malmené, et plus il sert de phare pour faire le point à tous ces immobiles dans le silence de la salle, très agités à l'intérieur d'eux-mêmes et très désemparés/Le théâtre, ça les apaise, ça les soulage et ça les éclaire dedans. On peut alors penser qu'ils deviennent un peu meilleurs tous ensemble. » « Tous ensemble » : c'est la bonne formule, sur scène, en coulisses et dans la salle.

* Ostermeier backstage, de Thomas Ostermeier et Gerhard Jörder, L'Arche, 131 p., 22 €.

>>> Au menu du « in »
Les portes sont ouvertes depuis le 4 juillet. Fermeture le 25 juillet. Shakespeare a lancé les festivités dans la cour d'honneur avec le Roi Lear, mis en scène par Olivier Py, qui en assure également la traduction. Le grand Will est revenu avec Thomas Ostermeier qui mettra en scène Richard III, ainsi qu'avec le Portugais Tiago Rodrigues, qui signera Antoine et Cléopâtre. Parmi les autres temps forts, signalons le Vivier des noms, de Valère Novarina, cet ovni du théâtre ; Retour à Berratham, de Laurent Mauvignier, spectacle dont Angelin Preljocaj assure la chorégraphie et la mise en scène et qui fera la clôture du festival dans la cour d'honneur ; sans oublier de multiples débats aux Ateliers de la pensée. Au programme en tout : 47 spectacles, 35 créations et 21 spectacles de théâtre ; 31 des artistes invités ne s'étaient jamais produits dans le « in ». La parité est quasi parfaite entre ceux venus de France et ceux originaires de l'étranger. Par ailleurs, un hommage est rendu à Patrice Chéreau via un « musée imaginaire » à la collection Lambert. Enfin, une exposition est consacrée au peintre Guillaume Bresson à l'église des Célestins.

 

>>> Les 50 bougies du « off »
Le « off » aura cette année 50 ans. De nombreuses manifestations permettront de rendre hommage au père fondateur du « off », André Benedetto, dont le nom est désormais associé au Théâtre des Carmes. Jusqu'au 26 juillet, plus de 1 000 compagnies représentant toutes les formes d'expérience artistique proposent 1 336 spectacles, dont 998 pièces de théâtre ; 126 de ces spectacles seront interprétés par des artistes venus de l'étranger. Un bal clôturera les festivités le 25 juillet à partir de 22 heures, au « village du "off" », lieu stratégique de débats et d'initiatives. Entre-temps, une écolo-parade aura eu lieu le dimanche 19 juillet, à 17 heures, sous forme d'un défilé festif qui ira de la place Pie au palais des Papes. On ne peut évidemment donner aucun aperçu d'un programme aussi riche et diversifié, marqué par la volonté des organisateurs de toucher le public le plus large. Selon les relevés statistiques de 2014, 30 % des spectateurs viennent de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, 12 % du Languedoc-Roussillon, 20 % de l'Ile-de-France, le reste provenant des autres régions. A 64 %, ce sont des femmes, plutôt âgées, et qui demeurent sur place 8,3 jours avec un budget moyen (tout compris) de 605 €. Au total, le spectateur abonné au « off » voit 13,8 spectacles dans le « off » et 1,8 dans le « in ».

>>> Retrouvez ici « Rideau ! »,  de Jacques Dion pour suivre le Festival d'Avignon

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