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Carole Martinez ressuscite les ombres du passéGrands noms, confirmations, nouveaux talents... Sur les quelques 589 romans français et étrangers à paraître cet automne, voici nos coups de coeur. >>> Article paru dans Marianne du 14 août « Je suis toi sans l'être, je cours et je te vois courir », chantonne une vieille âme à la petite fille qu'elle a été. D'un chapitre à l'autre, ces deux états du même être - l'un fantomatique, l'autre voué au futur - se prêtent et se rendent le récit, mais c'est Blanche, toujours, qui écrit : un personnage, comme le chat de Schrödinger, vivant et mort à la fois. Blanche vit au XIVe siècle, deux cents ans après Esclarmonde, l'emmurée vivante de Du domaine des Murmures (2011), mais, comme elle, et dans le même château, elle se voit promise à un homme que son père a choisi pour elle. Si son ancêtre avait fait le choix de la clôture, la fillette de 12 ans n'a de cesse, pour sa part, d'apprendre à lire et à écrire pour graver son nom et dénouer le fil de son histoire : car, en ces lieux où son père a joué, avant elle, sa propre destinée, chacun détient, empaqueté dans ses souvenirs, un petit bout d'elle. Et Blanche, à travers leurs récits, fera progressivement remonter à la surface le passé et ses noyades. Ce sont ces êtres de parole, ces chansons d'un autre temps, ces paysages de merveille (« l'ombre absolue des bois » ; la rivière et sa fée ; la Dame verte, reviviscence de la Bérengère de Du domaine des Murmures) qui l'initieront à la puissance salvatrice du mensonge, à l'intrication des destinées. Blanche, « petit tas de tissus silencieux », apprend ainsi à se faire à la fois chardon et eau vive, à aimer deux hommes pour des raisons contraires, et la réversibilité du sens : si son père, qu'elle hait, n'est pas l'homme qu'elle croit, si sa mère, morte au début des temps, n'est autre, pourquoi pas, que celle qu'elle choisira pour telle, Blanche elle-même est peut-être alors, elle aussi, une autre. Choisissant de ne plus faire destinée commune avec cette âme fétichiste et sénile qui veut raconter l'histoire à sa place, elle métamorphose son je en parfait inconnu - un être imprévu. Câlinant le diable, elle fera, des voix tapies en elle, des prédestinations non plus un écran mais un écrin, pour rendre possible son propre devenir : sa mythologie personnelle. La terre qui penche, ou, magie noire, magie blanche, comment renoncer au renoncement. La terre qui penche, de Carole Martinez, Gallimard, 370 p., 20 €.
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