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Comment Amazon a réinventé la pénibilité au travail

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Le "New York Times" a publié une longue enquête dénonçant la dureté des conditions de travail dans les bureaux d’Amazon à Seattle. Enquête que le patron et fondateur d’Amazon Jeff Bezos s’est empressé de contester dans une lettre adressée à ses employés. Auteur du livre En Amazonie, Jean-Baptiste Malet, réagit aux révélations du New-York Times et décrypte le projet "amazonien".

En 2013, une plongée En Amazonie par Jean-Baptiste Malet levait le voile sur la réalité des entrepôts Amazon : cadences extrêmes, obsession de la productivité, fouilles au corps…  

Cette fois, l’enquête du New York Times  révèle que la loi de la jungle «amazonienne» n'épargne pas les « cols blancs ». Le quotidien américain a recueilli une centaine de témoignages auprès d’anciens et d’actuels salariés d’Amazon:  semaines de 80 heures, qui se prolongent le soir et les week-end, des réunions où tout le monde se tire dans les pattes et d’où chacun est déjà sorti en pleurs ; le risque en tombant malade ou enceinte de se faire écarter en un rien de temps. Délation, menaces, une gestion brutale et une pression phénoménale exercée sur les cadres. Après l'émotion suscitée sur la toile et la reprise par les médias du monde entier, le boss Jeff Bezos se devait de réagir. 

Dans une lettre adressée aux 180.000 employés du groupe, l'intéressé décrit son «amazon» à lui : « L’article du New York Times ne décrit pas l’Amazon que je connais, ni mes chers amazoniens avec qui je travaille tous les jours. » écrit-il, « Si vous avez connaissance d’une quelconque histoire du genre, je veux que vous la fassiez remonter aux ressources humaines (…) Je ne pense qu’aucune compagnie qui adopterait ce type d’approche pourrait survivre, et encore moins prospérer, dans le marché hautement compétitif actuellement pour les embauches du secteur technologique ». Un tel argumentaire ne tient pas face à l’investigation du NYT. Car c’est justement en ce qu’il décrit, un management sournois plus qu'un système répressif et un système de valeurs profondément intégré par des salariés en quête de succès que l’article trouve tout son intérêt.

La dictature du dépassement de soi

On apprend qu’Amazon dispose d’une profession de foi, auxquels les salariés adhèrent dès qu’ils intègrent l’entreprise. Etre obsédé par le désir du client, ne pas fuir le conflit pour défendre un point de vue, ne pas hésiter à critiquer la manière de travailler des autres, et surtout : toujours dépasser ses limites, toujours travailler plus. Avec un grand sens de la psychologie, le management amazonien réussit à motiver des salariés qui, dans une logique de réussite personnelle, se sentent exister grâce à leur employeur : «  Quand les nouveaux arrivants s’acclimatent, ils se sentent souvent éblouis, flattés et intimidés par la charge de responsabilité que la compagnie fait reposer sur leurs épaules et par la manière dont Amazon relie directement leur performance aux succès des projets auxquels ils sont assignés. (…) Chaque aspect du système Amazon pousse à la motivation et à la discipline: les principes de leadership, les retours rigoureux et continuels sur la performance, et la compétition entre collègues qui ont peur de manquer quelque chose, et se dépêchent alors de répondre aux emails avant que quelqu’un d’autre ne le fasse. » 

Dans cette mécanique bien huilée, ceux qui ne rentrent pas dans le moule ou ceux qui fatiguent prennent la porte rapidement, et sont tout aussi rapidement remplacés. Pour le New York Times, c’est cette ronde perpétuelle qui explique le succès d’Amazon : « Les départs massifs d’Amazon ne sont pas une faille du système, comme nous l’ont expliqué beaucoup d’employés actuels ou d’anciens employés, mais plutôt une conclusion logique : des embauches massives de nouveaux travailleurs, qui contribuent à l’essoreuse Amazon puis s’usent et laissent la place aux Amazoniens les plus engagés. » 

Jean Baptiste Malet: «Jeff Bezos est un anarcho-capitaliste qui prêche la destruction des états souverains»
Jean Baptiste Malet est journaliste, auteur du livre En Amazonie, infiltré dans le meilleur des mondes, publié en 2013 et dans lequel il dénonce la pénibilité du travail dans les entrepôts logistiques d'Amazon en France. Il réagit aux révélations du New York Times.  

Marianne: L’enquête du New York Times sur Amazon entre t-elle en résonnance avec votre expérience dans les entrepôts français ?  
Jean Baptiste Malet : On comprend à la lecture de l’enquête que l’aspect idéologique d’Amazon se décline partout : dans les entrepôts au niveau de la production mais également au siège et dans tous les services administratifs qui composent cette méga machine. Amazon n’est pas l’alpha et l’omega de la pénibilité du travail mais elle innove et réinvente des modes de fonctionnement. Je pense notamment au paternalisme, qui existe depuis le 19ème siècle, mais qui est retraduit de nos jours par Amazon avec cet esprit de corps que Jeff Bezos impose. Dans sa réaction à l’article du NYT, il parle de « ses amazoniens », c’est très révélateur ! J’ai d’ailleurs moi-même observé cette vénération de Jeff Bezos, au sein des entrepôts français. Un manager m’a expliqué qu’il avait été sanctionné pour avoir dit en salle de pause que la fortune de Bezos lui donnait envie de vomir. Il est considéré comme une sorte de génie alors qu’en réalité on sait bien qu’une entreprise collective de cette taille ne doit rien à un seul individu. Mais c’est symptomatique de l’aspect idéologique d’Amazon.

Y a t-il eu des progrès dans les conditions de travail au sein des entrepôts en France depuis votre ouvrage ?
Pas vraiment. En mai dernier, j’ai publié un nouvel article dans l'Humanité, sur les fraudes qu’Amazon met en place pour minimiser le nombre d’accidents du travail. A ce moment là des élus front de gauche de la région Bourgogne ont demandé le remboursement des aides publiques perçues par Amazon, qui représentent plus d’un million d’euros et avait été mise en places par Arnaud Montebourg. Mais il n’y a aucune volonté de la part du parti socialiste de croiser le fer avec Amazon. Pour moi, c’est la preuve que le PS a totalement abandonné le monde du travail. Il faut prendre conscience de l’importance de l’univers de la logistique en France aujourd’hui : il représente plus de 100 000 emplois, avec un nombre d’accidents du travail supérieur à la moyenne du bâtiment. Il y a une réelle concentration de la précarité et des travailleurs pauvres dans ce domaine : la logistique c’est la mine du 21ème siècle. Mais le parti socialiste subventionne Amazon, et défend ce modèle sans qu’aucune critique ne puisse être émise à son égard.

Avec votre ouvrage puis cette nouvelle enquête du New York Times, peut-on s'attendre à une remise en cause d'Amazon, malgré son apparente toute puissance? 
Ces révélations participent à une prise de conscience générale sur Amazon. Avant mon livre, je ne lisais que des portraits très flatteurs de Jeff Bezos dans la presse. Mais j’espère maintenant qu’on va réussir à dépasser cette étape là. La pénibilité du travail chez Amazon doit être recontextualisée dans le modèle global de cette entreprise, qui est un modèle idéologique, un modèle de société. Amazon veut réinventer le monde. Bientôt en Europe, avec le service Amazon Fresh, de la nourriture et des articles de première nécessité arriveront directement chez le client. Ce qui s’amorçe c’est la fin du commerce de proximité, la mutation de nos centres villes. Tout cela va détruire des emplois, pour en créer dans des zones sub-urbaines, dans des entrepôts logistiques où on trouvera principalement des intérimaires avec des salaires au ras des pâquerettes. Il faut se demander quelle société on veut pour le futur. Est-ce qu’on laisse Amazon faire sa loi ? Il ne faut pas oublier que Jeff Bezos est un militant de l’anarcho capitalisme, un militant libertarien qui prêche pour la destruction des états souverains au profit de consortium privés, qui seraient plus aptes selon lui à gérer l’humanité. Ca paraît fou, mais quand on voit qu’il est le 5ème homme le plus riche du monde, ça devient sérieux…
 

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