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Jean-Pierre Dutrevis : le boucher arverne

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Préservant les valeurs d'un métier en voie de disparition, un artisan perpétue le culte de la viande d'Aubrac dans un village qui résiste à la mondialisation.

>>> Article paru dans Marianne daté du 2 juillet 2015

Qui a dit que les artisans sont des seigneurs ? En franchissant le seuil de la boucherie de la place de la Fontaine, à Pierrefort, au cœur palpitant de cette Auvergne profonde que l'on appelle le Cantal, on comprend que l'on n'a pas mis les pieds n'importe où. Alignés sur des crocs comme à la parade, une cohorte de jambons indique qu'ici règne une rigueur certaine. Un silence solennel précède l'arrivée du maître des lieux. Après quelques instants apparaît la statue du Commandeur. Avec la prestance d'un mandarin de faculté de médecine visitant son service, le port digne et assuré, Jean-Pierre Dutrevis salue les visiteurs d'une poignée de main ferme et franche. Toute la scène se concentre sur le regard captivant du personnage, d'un bleu étincelant, soutenu par une moustache de chef gaulois.

Les Arvernes étaient un peuple fier et droit. Dutrevis aussi. Leur mémoire hante encore le pays des puys, où les gens de la terre semblent résister mieux qu'ailleurs aux ravages de la globalisation. Dutrevis aussi. Voici sans doute l'un des derniers grands bouchers de France. Le dialogue qui s'ensuit pour savoir quel morceau honorera ce soir la table de notre hôte relève du débat politique. Il est clair que l'homme est entré en résistance pour perpétuer des valeurs professionnelles et une éthique dont on sait la fragilité. La boucherie est un métier noble, surtout pour celui qui va choisir ses bêtes au pré et en assure l'abattage chez lui. Un somptueux filet de bœuf est posé sur l'étal. C'est l'honneur de la maison qui est en jeu. « De l'aubrac ! » lance l'artisan comme pour bien signifier la gravité de l'instant. Silence contemplatif devant le joyau. Jean-Pierre Dutrevis saisit le morceau avec respect, jette un œil sur l'assistance, puis tranche dans le vif d'un geste sûr et décidé.

La chair est éclatante de pureté, de teinte incarnat foncé, donc maturée au moins quatre semaines, à peine striée de blanc pour témoigner de la verdeur du pâturage sur lequel la vache a ruminé l'herbe grasse et parfumée des hauteurs du Cantal. Un monument. Les yeux pointés comme deux lances vers son interlocuteur, le maître la montre du doigt et laisse tomber son verdict : « C'est de la viande. » Deuxième silence contemplatif. Nous vivons là un morceau d'histoire. Une certaine idée de la France qui ne veut pas s'éteindre et un instant de civilisation dont on sait qu'il ne durera pas éternellement. Sauf si. En savourant l'insigne denrée rôtie à la broche dans une vieille cheminée de granit, le soir même, le gastronome fait acte de vénération pour ce peuple qui défend la maison de son père et qui, depuis Jules César, préfère encore mourir debout que vivre couché. A peine cuite, bien dorée, juteuse, moelleuse, longue en bouche, caressante au palais, fleurie sur sa finale, la viande s'offre sous la dent en délivrant son message sensoriel. Troisième silence contemplatif. Toute l'émotion de l'instant rappelle la force d'un regard. Celui du boucher arverne.

Boucherie Dutrevis, 14, place de la Fontaine, 15230 Pierrefort. Tél. : 04 71 23 33 04. Pour sa viande d'aubrac et ses salaisons de montagne.

>>> PÂTURAGE ET MATURATION : LE SECRET D'UNE BONNE VIANDE
La seule vraie bonne viande est celle provenant d'une vache laitière nourrie à l'herbe, ayant fait trois ou quatre veaux pour donner du lait (et du fromage), puis ayant été remise au pré pour engraissement avant d'aller en boucherie. C'est sur ce seul principe, celui du bon sens, encore en vigueur dans des pays où il rend les éleveurs riches et heureux, que la viande française a contribué, à un niveau inégalé et des siècles durant, au renom de notre gastronomie. Tout cela relève aujourd'hui du mythe. Toutefois, sans reproduire précisément ce schéma, nombre d'éleveurs de vaches et de bœufs de race aubrac restent attachés à l'élevage en pâturage, surtout si la géographie le permet. Une bonne viande doit donc être rassise (maturée en chambre froide durant trois à quatre semaines) et suffisamment persillée pour que des filaments de gras en diffusent la saveur. Tout en restant concurrents, Jean-Pierre Dutrevis et Yves Joffrois ayant eu la bonne idée de s'associer pour fonder l'abattoir du pays de Pierrefort, ces deux ténors de la boucherie ont ainsi le mérite de pouvoir proposer le fleuron du terroir auvergnat sur l'étal de leur boucherie. Un détour qui s'impose.

 

>>> TRIPOUX JOFFROIS : L'AUVERGNE DANS UN BOCAL
L'autre « artisan résistant » de Pierrefort est aussi le patron d'une jolie boucherie située sur la rue principale. Une boutique où foisonnent les spécialités locales, sous toutes leurs formes, saveurs et origines, ainsi que l'on peut les contempler derrière leur alléchante vitrine. Hormis les viandes de bœuf, d'agneau et de porc du terroir cantalien, avec lesquelles il fournit la restauration régionale, et même nationale, sous l'enseigne du père Joffrois, en bon enfant du pays, à la troisième génération d'une maison fondée en 1890, Yves Joffrois excelle dans la charcuterie de campagne et les produits du terroir. On se régalera avec les salaisons, saucissons, terrines, pâté de tête et pâtés de campagne, saucisses sèches contenus dans son colis « Vignerons » des monts du Cantal, que l'on peut commander sur le site du magasin. Il serait tout aussi dommage de passer à côté du fleuron emblématique du cru : les tripoux d'Auvergne. Une préparation à base de pansette de veau et de pansette d'agneau farcies, avec du vin blanc, des oignons, de l'ail et du persil, mitonnée dans les règles de l'art par Yves Joffrois. La conserve traditionnelle dans laquelle on retrouve le goût de ces plats d'antan que l'on dégustait dans les fermes du pays. Ceux qui ont le bonheur de passer par cet endroit magnifique en feront provision, mais il n'est pas interdit de se faire plaisir à distance avec le Net.
Maison Joffrois, 10, avenue Georges-Pompidou, 15230 Pierrefort. Tél. : 04 71 23 31 80. Colis «Vignerons, les salaisons des monts du Cantal» : 55 €. Bocal de tripoux d'Auvergne : 12 €. www.maisonjoffrois.fr

 

>>> VIANDE D'AUBRAC :
LE GÉNIE DE LA RACE MIXTE

Alors que l'élevage bovin français, menacé de disparition par la lâcheté des pouvoirs publics, la trahison des instances agricoles et l'absurdité inique d'un marché de la viande soumis au diktat assassin de la grande distribution, affronte l'une des crises les plus tragiques de son histoire, de courageux éleveurs auvergnats continuent à se battre pour sauver ce fleuron de notre paysannerie de tradition. La Haute Auvergne compte aujourd'hui quelques héros attachés à une race légendaire, l'aubrac, reconnaissable à sa robe fauve, ses yeux cernés de noir et ses cornes en arc. Une race magnifique, fondue dans son paysage, rustique et résistante, dont le lait donne l'un des meilleurs fromages du monde, le laguiole, et dont la viande, si elle est bien maturée et persillée (striée de gras), est un joyau gastronomique. Mais, en France, la FNSEA, syndicat majoritaire qui cogère l'agriculture française avec le ministère concerné depuis cinquante ans, en a décidé autrement. Soucieux d'appliquer une logique industrielle à une activité qui ne l'est en rien, le lobby bovin a décidé de scinder l'élevage en deux filières, la vache à lait et la vache à viande. Pour ces gens-là, le lait, c'est de la lessive, et la carne, c'est du boulon. Crétins. Résultat, tout le monde en crève : les producteurs laitiers, étranglés par le prix dérisoire auquel l'industrie laitière leur paye le litre de lait, et les producteurs de viande, étranglés par le prix dérisoire auquel l'industrie carnassière leur paye le kilo de viande. Motif, la grande distribution refuse de payer ces produits à leur juste valeur puisque la concurrence des marchés internationaux lui propose de la saloperie à moindre prix. Et comme la règle est au moins-disant, allez vous faire voir ailleurs. Merci, l'Europe, merci, Bruxelles, merci, la FNSEA.

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