L'hospitalité de l'Histoire

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Posé sur les bords de l'Aude, au cœur du pays cathare, cet hôtel-restaurant de charme a conservé son âme médiévale. Les propriétaires du château des duc de joyeuse à Couiza ont su créer l'harmonie nécessaire entre douceur de vivre moderne et tradition ancestrale.

> > > Article paru dans Marianne daté du 14 août 2015

Blottie aux confins des Corbières et du Razès, ancienne contrée occitane cachée dans les profondeurs du Languedoc sauvage et montagneux, entre Quillan et Limoux, sur les premiers contreforts des Pyrénées, Couiza coule des jours heureux à l'abri des grandes transhumances. Arrosé par le cours de la Sals, jolie rivière qui se jette dans l'Aude à la sortie du village, le site était déjà apprécié des Romains pour sa situation stratégique. Les traces de villas trouvées dans les environs l'attestent, toutes construites à mi-pente du fait d'une géologie marécageuse.

N'empêche, hormis les habitants du pays, personne ne sait précisément où situer Couiza sur une carte. Si l'on en croit le maître taoïste Lie Tseu, une telle situation ne peut être qu'idéale puisque « le parfait voyageur ne sait où il va ». Et pour peu que l'on ait choisi de parvenir à destination en traversant les Corbières depuis l'abbaye de Lagrasse et le château de Termes, par le col du Paradis, la sensation d'arriver au bout du monde est alors totale. Posée sur les bords de l'Aude, au milieu d'un vallon verdoyant formé par le méandre du fleuve, surgit la masse imposante et solennelle du château des ducs de Joyeuse.

Construit sur la base d'un fortin féodal, le château s'organise en quadrilatère flanqué sur chaque angle d'une grosse tour ronde et d'une cour rectangulaire dotée de superbes façades Renaissance. Malgré l'austérité des volumes, le monument impressionne par sa rigueur, elle-même rehaussée par la clarté de la pierre calcaire au ton fauve qui lui confère cet aspect si lumineux. C'est Jean de Joyeuse, lieutenant général du Languedoc, après son mariage avec Françoise de Voisins, héritière du fief, qui commence les travaux d'édification de l'actuel château de 1540 à 1550. Poursuivant l'œuvre de son père sans pour autant l'achever, Guillaume III de Joyeuse s'y installe en 1582 pour y tenir une cour fastueuse, jusqu'à sa mort, en 1592. Il verra mourir avant lui quatre de ses sept fils, dont le plus célèbre, Anne de Joyeuse, favori d'Henri III, s'illustra par sa cruauté durant les guerres de Religion et dont le mariage avec Marguerite de Lorraine-Vaudémont, en 1581, nous a laissé l'un des tableaux les plus connus de la Renaissance, le Bal des noces du duc de Joyeuse. Il fut tué à la bataille de Coutras, perdue en 1587 contre Henri III de Navarre, chef des protestants et futur Henri IV. Vendu en 1649, Couiza va connaître des sorts variés, devenant coup sur coup hôpital militaire sous la Révolution, caserne de gendarmerie sous l'Empire, puis magasin de laine pour une fabrique de chapeaux. Il faut attendre 1913 pour que l'Etat le classe aux monuments historiques. Laissé à l'abandon par ses différents propriétaires, le château tombe en ruine et la toiture s'effondre en 1930. Repris par la ville de Couiza en 1937, il ne sera restauré qu'après la guerre, puis transformé en école d'agriculture. Revendu en 1990, il est aménagé en hôtellerie avec plus ou moins de succès jusqu'à ce qu'Isabelle et Vincent Nourrisson, ses actuels propriétaires, n'en fassent l'hôtel réputé qu'il est devenu.

SENTIR L'EMPREINTE DU TEMPS

De tous les châteaux historiques transformés en hôtel que nous avons eu l'occasion de visiter dans le cadre de cette série estivale, celui de Couiza est le plus conforme à l'esprit des paradores espagnols, par son authenticité architecturale, restée dans son jus, et par la nature de la prestation, qui ne recherche aucun artifice tapageur. Lorsque l'on possède un tel monument, le talent consiste à s'effacer pour laisser parler l'endroit. Subtile nuance où ce n'est pas l'hôtellerie qui doit être monumentale mais l'âme des lieux. C'est bien ce que l'on ressent ici, au moment où l'on pénètre dans l'édifice, lorsque les murs s'emparent du visiteur, avec la sensation de s'enfoncer dans un monde en pérennité. Comme quoi la pierre qui a vécu conserve en son sein les humeurs du monde. Si la sérénité règne, et c'est bien le cas, alors on peut parler d'hospitalité de l'histoire, car le château de Couiza en est un vrai modèle. Sans oublier que nous sommes à l'orée des Corbières, dont les paysages radieux laissent surgir ici et là les vestiges de la tragédie cathare à travers ces colosses de pierre perchés sur des crêtes inaccessibles. Et tout près du Fenouillèdes, avant-poste de la civilisation catalane, où foisonnent la vigne, l'olivier et tout ce qui permet de passer de vie à festin. Situé à l'épicentre de plusieurs univers, Couiza est donc un point de départ idéal pour se lancer à la découverte de ces territoires gorgés de mémoire.

Première émotion lorsque l'on s'installe dans l'une des chambres du château des ducs de Joyeuse, l'empreinte du temps, bien réelle ici, car le cadre est parlant, brut de décoffrage malgré le décor inspiré par la Renaissance. En reprenant l'institution au début de l'année 2012, Isabelle et Vincent Nourrisson ont résolument joué la carte de l'auberge à l'ancienne plus que celle du palace spectaculaire. Choix judicieux en ce sens que la prestance des lieux se suffit à elle-même pour asseoir le cachet de l'hôtel. Chaque chambre est décorée dans un style propre, chaleureux, sans ostentation, sur des tons vifs ou pastel, avec des meubles aux lignes épurées, dont quelques lits à baldaquin, coffres et sièges aux formes antiques, où boiseries et tentures donnent du relief et de la solennité à la hauteur des plafonds. Nous sommes bien dans un château du XVIe siècle, et on ne s'étonnerait pas de croiser dans les escaliers magistraux quelque fantôme portant la barbe et la fraise qu'il conviendrait de saluer avec révérence. L'épaisseur des murs ne manque pas non plus d'influence sur le sommeil, en ce sens que rien n'est plus apaisant que de se sentir bien abrité durant la nuit. La puissance d'un bâti donne de la confiance en soi et n'est pas étrangère à l'assurance que manifestaient les seigneurs dotés d'une telle demeure. Se contentant des assauts du temps, la muraille de Couiza ne protège désormais ses hôtes que des intempéries tout en leur assurant la quiétude d'une vie de châtelain, fût-ce pour la durée d'un bref séjour s'annonçant pour le moins mémorable.

GOÛTER AUX CONTRASTES GOURMANDS

Hormis en cas d'abus de bonne chère, il n'est de nuitée confortable sans souper délectable. C'est dire si la table prend son rôle très au sérieux au château des ducs de Joyeuse. Rompu à l'exercice de l'hôtellerie, Vincent Nourrisson n'a pas hésité un instant sur les impératifs de la cuisine : honorer l'endroit et l'instant sans autre démonstration que le goût du produit et la cohérence des accords. Aussi a-t-il confié les fourneaux à un chef bien décidé à respecter l'harmonie nécessaire entre l'histoire et la tradition. Puisque Couiza était un fief, il est naturel que le menu mette en valeur les denrées que fournissent les producteurs ou les marchés locaux, à la saison donnée et en continuité des pratiques culinaires du terroir. Il faut bien que le contenu de l'assiette soit en concordance avec le cadre et nul mieux que Paul Guilhem, enfant du pays imprégné par ses origines et débordant d'idées, ne saurait établir ce lien sensoriel entre l'esprit des lieux et l'appétit des hôtes. Passé par un apprentissage classique et formé par des maîtres peu enclins à la fantaisie, le chef a conçu une carte dont la créativité n'est pas soumise aux tendances fusionnelles alliant délire et ambition, mais qui s'épanouit dans la mesure et la précision.

Construite selon une architecture très étudiée afin que chaque saveur soit bien à sa place, la truite de Gesse en tartare, gingembre et pomme granny, guacamole et nachos au piment d'Espelette est un petit chef-d'œuvre dont les éléments se combinent aussi bien dans leur texture que dans leurs arômes. Provenant d'un élevage piscicole aux eaux pures de montagne, situé à Gesse, dans les gorges de l'Aude, la truite fario que travaille Paul Guilhem présente une chair d'une finesse et d'une fermeté idéales pour ce genre d'exercice. A peine relevée par la vivacité du gingembre et de la pomme, elle se laisse caresséer par la douceur du guacamole de petits pois, avant de rebondir sur le croquant des nachos pimentés. Un plat intelligent qui met les papilles en ferveur, avant d'attaquer le dos de merlu en viennoise de chorizo aux gnocchis de pommes de terre et légumes de saison, un essai en clin d'œil au genre hispanique avec un poisson d'une fraîcheur exemplaire taquiné sur sa peau par le mordant discret du chorizo. Mais la méthode Guilhem consiste aussi à snacker des queues de langoustines accompagnées de jeunes poireaux tonifiés par une vinaigrette tiède à l'huile de noix sur une sauce parmentière, composition pleine de contrastes gourmands et alertes qui révèlent l'instinct coquin du chef.

Loin de s'en laisser compter par les tenants du rata technochimique dont le Guide Michelin nourrit ses étoiles, ce cuisinier sait trouver l'équilibre entre recherche de sensations neuves et respect du produit. Notre jeune talent plein d'avenir se plaît aussi à cultiver ses racines en préparant un cassoulet anthologique avec des haricots du Lauragais voisin, de la saucisse fraîche de Toulouse, de la poitrine et du collier d'agneau de Catalogne et du canard des Landes dont il a lui-même confit le cou, le gésier, la cuisse et les manchons. Un monument marmitonné qui cadre bien par sa stature avec les quatre tours du château mais qui n'atteint pas, toutefois, la subtilité de notre coup de cœur, les rouzoles de veau fermier dans un bouillon de légumes du pays et leur confit de carottes à la cardamome. La rouzole est une sorte de boulette composée pour un tiers de chair à saucisse et pour deux tiers de veau haché avec de la ciboulette, de l'ail et de l'échalote. Une recette du comté de Foix que l'on prépare dans la région lorsque l'on veut enrichir avec générosité la table familiale. Paul Guilhem a d'autres cordes à son garde-manger et mérite que l'on aille aussi déguster son filet de truite fario juste poêlé aux amandes, sa pintade cathare braisée au rancio de Maury, son agneau catalan décliné à l'orientale ou son fraisier revisité à la crème glacée servis avec maestria dans la cour du château sous un ciel d'azur ou étoilé. D'autant que Vincent Nourrisson a dédié l'une des pièces du château au dieu Bacchus et qu'il y collectionne la fine fleur des vignobles indigènes, des meilleures blanquettes de Limoux, dont les bulles rebelles titillent gracieusement le palais, jusqu'aux grands crus de Corbières, dont le château-la-voulte-gasparets, en passant par le limoux blanc sec du Domaine de Mouscaillo, nerveux et fruité, ou le friand côtes-de-la-malepère rouge 2011 cuvée « Marie Anne » du Château de Cointes. Rien de plus glorieux que la cave du château mise à sac pour donner la réplique aux œuvres du cuisinier. Il est des sièges qui virent à l'euphorie et des assauts qui ne sont pas toujours repoussés.

A suivre...

Château des ducs de Joyeuse, 11190 Couiza. Tél. : 04 68 74 23 50.
Chambres : de 118 à 152 € / Menus : 29, 36, 49, 58 et 69 €. Carte : 60 €.
Tennis et piscine. Dégustation de vins commentée.

 

  >>> Découvrez ci-dessous une promenade à proximité du domaine de Villeray proposée par Se-balader.fr en partenariat avec Marianne

 Vous pouvez également télécharger notre application gratuite « Les balades de Marianne » disponible pour iPhone et iPad mais aussi pour Androïd.

 

 

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