C'est une histoire belge que raconte Patrick Roegiers, mais elle n'est pas drôle du tout. Avec l'Autre Simenon, son nouveau roman, l'écrivain originaire de Bruxelles mais établi en France s'intéresse à la destinée tragique et pathétique de Christian Simenon, le frère cadet de Georges, le « vrai » Simenon, romancier ô combien prolifique au succès jamais démenti. Il y est question d'une enfance perturbée par l'amour exclusif d'une mère, qui préféra toujours Christian à son aîné, et de la rivalité latente dans cette fratrie que tout opposa. D'un côté, l'énergie et la créativité de Georges, son talent et sa fortune. De l'autre, l'apathie de Christian, sa faiblesse et sa médiocrité, qui le poussèrent à rejoindre les rangs du rexisme, mouvement politique d'extrême droite et pronazi de la Belgique des années 30.

Plus qu'un portrait croisé psychologique, c'est d'ailleurs un tableau des passions tristes de l'époque que livre Patrick Roegiers à travers le récit de cette lutte fratricide. Les pages abondent pour décrire les discours de Léon Degrelle, sorte de Führer de deuxième division, qui charma les esprits crédules, et les exactions terribles des rexistes en pleine Seconde Guerre mondiale. Des exactions auxquelles participa Christian Simenon, sans remords et sans haine, simplement pour « obéir aux ordres ». Le roman raconte ainsi la divergence de ces deux trajectoires, et comment Georges Simenon, au faîte de sa gloire, entreprit d'éloigner après la guerre ce frère qui, devenu infréquentable, pouvait compromettre sa renommée.

Surtout, le récit se lit comme une illustration de la puissance du ressentiment et de l'influence d'une idéologie démagogique et simpliste sur un esprit dépourvu de caractère. En d'autres temps, Christian Simenon serait peut-être demeuré un quidam sans envergure, anonyme banal dans l'ombre de son frère. Mais de cette normalité rongée par la rancœur et l'amertume naît aussi l'effrayante banalité du mal.

L'Autre Simenon, de Patrick Roegiers, Grasset, 304 p., 19 €.