En contemplant la multitude de monuments civils ou militaires qui jalonnent les anciennes frontières intérieures de la France, on réalise à quel point ces délimitations, dont certaines remontent à l'Empire romain, avaient un sens et une légitimité du fait qu'elles prenaient en compte des paramètres environnementaux inaliénables. Edifié sur un ancien castrum, aux confins de la vicomté de Turenne et de la vicomté de Limoges, dont il était l'avant-poste sur la vallée de la Vézère, face à Brive-la-Gaillarde, Castel Noël, qui va devenir Castel Novel, est cité dans les annales depuis le XIIIe siècle. Bien de la famille Pida, ainsi que l'indique un acte daté de 1289, il est donné en 1316 par Guichard de Comborn, seigneur du lieu, à Geoffroy Hélie, damoiseau de Pompadour, titre que portent les tenants de ce fief limousin. Après diverses donations et alliances, le domaine échoit en 1440 à la famille Beaupoil puis, à la fin du XVIe siècle, aux vicomtes d'Aubusson, qui le conserveront trois siècles et demi. Le 17 décembre 1844, Alexandre d'Aubusson de la Feuillade cède Castel Novel au baron Jacques-Léon de Jouvenel, qui donnera au château son aspect composite actuel tout en préservant l'esprit et le style originel de l'édifice, notamment ses façades en pierre rose, son donjon, ses tourelles et son escalier à vis de granit clair. Son petit-fils, Henri de Jouvenel, épouse en 1912 la belle Sidonie-Gabrielle Colette, future égérie de la littérature française. Séduite par la beauté des lieux, retrouvant en Corrèze les charmes paysagers et naturels de sa Puisaye natale, Colette y écrira quelques-uns de ses romans, notamment Chéri et le Blé en herbe.

Que ce soit dans sa prose ou sa correspondance, l'écrivain s'inspire des activités agricoles et ne tarit pas d'allusions à l'univers champêtre et bucolique qui entoure le château : « Rien de nouveau ici, un temps radieux et sec, mais quelle splendeur. L'odeur d'une touffe de lilas te ferait passer de vie à trépas, car moi-même je n'y résiste guère. Et l'odeur des iris en forme de flamme... » Un véritable paradis rural où les variétés animales et végétales participent de son enchantement littéraire : « Ici, pas de bas, pas de souliers, pas de frisures. Les foins qu'on rentre, les étables pleines, 360 volailles, des dindons, des petits pintadeaux, six veaux du mois, des oies de Toulouse. Les taureaux de saillie sont si beaux avec leurs cheveux frisés sur le front. Et surtout la belle campagne qui enveloppe tout cela. »

VOISIN D'UN PARC FLORAL

Dès ses premiers pas dans le domaine, le visiteur recrée le contexte verdoyant dans lequel Colette a évolué de 1912 à 1923, date de son divorce avec Henri de Jouvenel. Ainsi écrit-elle, en juin 1923 : « Mon Dieu, Germaine, je voudrais montrer ces roses à tout le monde ! Je n'avais jamais vu cela ici. Elles sont mêlées aux taillis. Les haies de la route qui monte sont en rosiers du Bengale taillés. Des mâts de roses rouges. Des toits de roses roses. Des cordages de roses mousseuses. Des arbres entiers de roses jaunes, odorantes à perdre l'esprit !... Et ceci, et cela, et tout ! Et les fraises ! Pourquoi est-ce que je ne vis pas à la campagne ? Cet endroit, en mai et en juin, est prodigieux. » Rien de changé en 2015.

L'engouement de l'écrivain pour les fleurs était tel qu'un parc floral, à l'enseigne des Jardins de Colette, a été ouvert en 2007 à deux pas de Castel Novel, sur la route de Varetz à Saint-Pantaléon-de-Larche. Une balade botanique sur les pas de l'écrivain composée de six tableaux paysagés évoquant les six provinces ayant marqué sa vie, dont, bien entendu, la Bourgogne et le Limousin. Autant d'éléments qui traduisent l'enthousiasme que Castel Novel suscitait chez Colette, où sa présence, marquée par la naissance de sa fille Colette-Renée, dite « Bel Gazou », qui vivra au château tout au long de son enfance - et dont elle écrit : « Bel Gazou, fruit de la terre limousine ! Quatre étés et trois hivers l'ont peinte aux couleurs de ce pays » -, a laissé des traces esthétiques et décoratives préservées par les actuels propriétaires. Et si Colette et la famille Jouvenel ne sont plus là, la volupté et la grâce des lieux perdurent à travers la vénération que les hôtes actuels portent à cette institution à peine légendaire.

C'est en 1956 que Raymond et Yvette Parveaux, pâtissiers-traiteurs à Brive-la-Gaillarde, achètent Castel Novel à Renaud de Jouvenel, fils d'Henri, pour en faire un hôtel-restaurant réputé. Repris par son fils Albert et son épouse, Christine, dont les talents de décoratrice vont bouleverser les lieux, l'établissement acquiert ses lettres de noblesse hôtelière dès 1965. Conscients du trésor qu'ils ont entre leurs mains, les Parveaux n'ont eu de cesse d'apporter à leur établissement le statut et la stature d'une grande maison de tradition française. On n'est pas détenteur d'un tel monument sans se sentir le devoir, transmis à chaque génération, d'en préserver la dignité. Formé aux meilleures écoles, surtout celle de l'expérience, Albert Parveaux a réalisé la prouesse de hisser Castel Novel au niveau d'un palace campagnard offrant tous les charmes d'une halte élégante et courtoise sans la moindre pédanterie de faux standing. Absorbé par sa nouvelle mission, la résurrection du vignoble des coteaux de la Vézère, à quelques lieues de là, cet infatigable capitaine a passé le relais à sa fille Sophie et à son époux, Nicolas Soulié. Perpétuant la devise paternelle, « le luxe simplement », le jeune couple poursuit l'aventure en conservant les codes qui ont fait le renom de la maison en y ajoutant leur dose de ferveur. Le plus remarquable est de parvenir à recevoir les hôtes avec une aisance naturelle semblable à celle d'une maîtresse de maison accueillant des amis.

ABONDANCE DE SAVEURS

Une réalité que l'on retrouve dans les 22 chambres cossues et les cinq suites du château, personnalisées avec un goût respectueux de l'histoire et de l'âme de ces vieux mûrs ; dans la qualité du service, toujours attentif aux désirs de la clientèle et de bon conseil au moment d'accompagner les plaisirs de la table ; mais aussi dans la cuisine du chef, forcément respectueuse du produit dans sa vérité mais fidèle à la gourmandise que suscite le terroir limousin dans l'appétit du voyageur.

En parcourant la carte de Nicolas Soulié, on a parfois l'impression de lire, ou relire, Colette. Ainsi, écrivant à sa fameuse Germaine, le 26 septembre 1921, elle décrit par le détail un repas de vendangeurs : « Hier vendanges - essai de vendanges ! Une chaleur à tout tuer, qui ne nous a laissés libres que de manger la soupe des vendanges : lisez poule, farce, canards, lard gras et maigre, épaule de mouton à l'ail, plat de côte de bœuf ; et les figues, ô Germaine, les figues et les figuiers sur les figuiers, craquées, dégoûtantes, violettes et blanches. Ça vaut la peine ! »

Abondance de saveurs dans laquelle rejaillissent la lumière et les paysages du Limousin, lexique culinaire exaltant le patrimoine alimentaire d'un territoire béni des dieux, cette littérature annonce, ou prolonge, c'est selon, les vertus sensorielles de l'agriculture paysanne. Passionné par son métier, le chef du Castel Novel a pris le parti de mettre en valeur ce patrimoine et cette sensorialité à travers des préparations enracinées dans la tradition et sensibles à l'air du temps. Bien sûr, le foie gras de canard en chaud et froid, accompagné par un croustillant aux câpres, rhubarbe et pomme fruit, mais aussi mi-cuit au naturel et à la moutarde violette de Brive. Un poème ! Bien sûr, avec le sublime œuf fermier cuit à 64° servi sur une marmelade de tomates et champignons écrasés, plus quelques croûtons et truffes d'été. Bien sûr, avec les jeunes légumes et morilles mijotés au bouillon de poule et au lard fermier.

Si la marée ne remonte pas la Vézère, les mareyeurs limousins n'en sont pas moins fournis et nous avons pu nous régaler avec une lotte d'anthologie que Nicolas Soulié prend le soin de glacer aux sucs de tomates et crevettes et qu'il enrichit d'un risotto au chorizo et petits foies frais. Un chef-d'œuvre que « Sido » (surnom de Colette) n'aurait pas renié.

CLIN D'OEIL AUX VERGERS VOISINS

Ne restant pas les deux spatules dans le même soulier (facile), le glorieux mari de Sophie Parveaux mitonne un filet de bœuf du Limousin servi avec une pomme gratinée aux herbes et une joue au foie gras dans une feuille de blette sauce vigneronne. Hou là ! Un monument qui revisite, façon locale, le tournedos Rossini dans une dimension magistrale.

Il est clair que la provenance des produits et leur mise en valeur par la plus juste des cuissons et l'accord le plus subtil est la principale obsession de ce cuisinier. Clou de sa carte dans l'éloge au terroir corrézien élargi au monde, l'ode aux trois cochons déclinée sur une poitrine confite et laquée nantie d'un navet au sésame, une pluma ibérique relevée par un tempura de légumes au curry de Madras et un croustillant de pieds porcins à la pomme royal gala. On remarquera le clin d'œil régulier aux vergers voisins. Nul être humain normalement constitué ne résistera au plaisir de conclure ce festin sidonien avec le « Paris-Brive », crème à la noix Gaillarde et sa glace au café. Vade non retro Soulieras. « Mérite un détour » dit le Guide Michelin quand c'est très, très bon ou « vaut le voyage » quand c'est encore bien meilleur. Nous dirons en toute modestie de la cuisine de Nicolas Soulié qu'elle mérite simplement le voyage...

L'apothéose gastronomique ne serait pas complète sans la magie d'une cave prestigieuse où la vigne paysanne côtoie le cru à particule à des tarifs étonnants. Mais la perle de la carte est sans conteste le vignoble des coteaux du Saillant, situés en aplomb de la Vézère, (re)planté en 2003 sur d'anciennes parcelles décimées par le phylloxéra en 1875. Une odyssée patrimoniale menée par une bande de furieux réunis autour d'Albert Parveaux avec les consignes avisées de l'œnologue Jacques Puisais, fondateur de l'Institut français du goût et membre des plus hautes instances bachiques du monde. Au final, un sublime blanc sec issu à 100 % du cépage chenin et un rouge frais et fruité tiré d'un heureux assemblage de merlot et de cabernet franc. Le premier fit grand effet sur le saumon mariné en croûte de pain au raifort et vinaigre balsamique et le second ouvrit sa queue de paon avec le petit farci d'épaule d'agneau et sa polenta au jus corsé.

Au « luxe simplement » s'ajoute désormais un codicille définissant tout en nuances l'art de vivre à Castel Novel : le bien-être cultivé.

 A suivre...

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