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"L’échec de Syriza, c’est l’échec de l'idée d'une réforme de l'UE de l'intérieur"

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Pour Aurélien Bernier, auteur de "La gauche radicale et ses tabous" et de "Désobéissons à l'Union européenne", la crise grecque a montré qu'"en évacuant l’idée de rupture avec les politiques de l’UE, Syriza s'est condamné à l’impuissance." Selon lui, cet échec de Tsipras montre par ailleurs que "la stratégie du Front de gauche", qui consiste aussi à vouloir réformer les institutions européennes de l’intérieur, "n’est plus valable aujourd’hui" : "Soit il continue à s’enfermer dedans et là, si j’étais à la place de Marine Le Pen, je me frotterais les mains. Soit il y a un sursaut, et le moment s’y prête."

Marianne : Après coup, comment analysez-vous la stratégie d’Alexis Tspiras lors des négociations avec les institutions européennes ?
Aurélien Bernier :
J’ai regardé tout ça attentivement, me gardant bien de tirer des leçons en cours de route. Maintenant que la Grèce et ses créanciers se sont mis d’accord, nous y voyons plus clair. Le référendum aurait pu permettre à Alexis Tsipras d’assumer une position plus dure vis-à-vis de l’Union européenne et, notamment, d’envisager la sortie de la zone euro. Nous nous apercevons aujourd’hui que ce n’était pas du tout l’objectif de la majorité de Syriza. Tsipras a organisé ce référendum en pensant que cela aller renforcer son poids dans les négociations. Ce qui n’a pas du tout été le cas. L’UE a tenu des positions encore plus dures qu’avant le référendum et, à partir du moment où la majorité de Syriza refusait d’envisager la sortie de la zone euro, les choses étaient pliées d’avance. Je pensais vraiment que ce référendum allait permettre à la Grèce d’aller beaucoup plus loin dans les négociations puisque le Premier ministre avait une légitimité populaire. Au contraire, ils se sont couchés au bout de quelques jours. C’est assez dramatique parce que ce pays va continuer à pâtir de l’austérité, parce que les décisions prises en Grèce devront maintenant recevoir l’aval de l’UE et, aussi, parce que les gens qui ont cru de bonne foi que Syriza pouvait faire autre chose que les autres organisations politiques pro-UE, ces gens-là, malheureusement, ont été trahis.

Pensez-vous, comme l’affirme Yanis Varoufakis, l’ancien ministre des Finances grec, qu’Alexis Tsipras, en refusant l’idée même de préparer une sortie de la zone euro, a perdu un levier de négociation majeur ?
Oui, il a perdu à ce moment-là. Yanis Varoufakis a raison sur ce point. Sauf que, même avec cette menace, il est possible que Syriza se soit quand même heurté à un mur. Néanmoins, l’erreur est de ne pas avoir envisagé la rupture de la zone euro comme une solution de sortie de crise. On voit le résultat aujourd’hui. En évacuant l’idée de rupture avec les politiques de l’UE, avec les traités et tous les mécanismes qui vont avec, Syriza s'est condamné à l’impuissance.

Yanis Varoufakis a exliqué avoir travaillé à un plan B qui comportait des mesures qui auraient permis de récupérer de la souveraineté financière et monétaire, tout en évitant le « Grexit ». Etait-ce une troisième voie crédible selon vous ?
Je pense qu'effectivement cette voie-là était crédible. Mais cela revient de fait à une sortie de la zone euro. Car la solution qu’il proposait se résumait à l’introduction d’une deuxième monnaie dans le pays. La BCE aurait sûrement réagi et coupé, comme elle l’a fait à Chypre, l’approvisionnement en euros. Petit à petit, la nouvelle monnaie aurait remplacé la précédente. C’était une façon de se faire sortir de la zone euro en douceur plutôt que d’assumer directement une sortie sèche. C’est une question de stratégie politique, mais au final, le résultat aurait été le même, avec une nouvelle monnaie et une banque centrale réquisitionnée pour faire tourner la planche à billets.

Finalement, cette séquence n’est-elle pas pour vous un véritable cas d’école de cette entrave, de ce « tabou », que s’imposent les formations de la gauche radicale en refusant la rupture avec l’Union européenne ?
"Nous payons des années d’entêtement sur les questions européennes d’une gauche radicale qui n’a pas voulu aller au bout de son raisonnement"Malheureusement oui, c’est un cas d’école. La gauche radicale européenne défend une réforme des institutions de l’intérieur. Mais cette crise démontre que l’UE n’a absolument aucune intention de lâcher quoi que ce soit. Il n’y a pas de doute là dessus. Et que dans un contexte de négociation, avec ce « tabou de la rupture » présent à chaque instant, il n’y a absolument rien à attendre de bon. Je suis à la fois inquiet et en colère.
Inquiet parce que je crains que le parti qui soit le plus renforcé par cette crise ne soit celui de l’extrême droite, c’est-à-dire Aube dorée. En France, ce sera exactement la même chose avec le Front national. Car l’échec de Syriza, c’est l’échec de la position de réforme de l’intérieur que défend l’ensemble de la gauche européenne. Et, évidemment, Marine Le Pen se fera un plaisir de mettre Jean-Luc Mélenchon face à cet échec.
Je suis en colère aussi. La gauche radicale européenne aurait dû soutenir l’aile gauche de Syriza. On savait très bien qu’il y avait, au sein de Syriza, plusieurs positions : l’une dure, l’autre plus souple. Mais au lieu de ça, la gauche radicale a préféré dénoncer l’UE, l’intégrisme des négociateurs et des créanciers. Ils sont restés finalement sur leurs positions en faisant croire qu’on pouvait faire changer les choses sans rompre avec l’UE. Or, si les gauches radicales européennes avaient expliqué que la sortie était une possible voie, nous n’en serions pas là aujourd’hui. Nous payons des années d’entêtement sur les questions européennes d’une gauche radicale qui n’a pas voulu aller au bout de son raisonnement. Finalement, Tsipras a appliqué ce que dit le Front de gauche. Et même si la France pèse certainement plus que la Grèce dans des négociations, je ne suis pas sûr pour autant que le résultat serait différent. Alexis Tsipras a appliqué la position du Front de gauche qui est de dire : « On va batailler de l’intérieur pour faire bouger l’UE ». Malheureusement, le résultat de cette politique-là amène à la situation que vit la Grèce.

N’y a-t-il pas en France, depuis quelques mois, une évolution sur ces questions ? On a vu, lors de cette crise grecque, plusieurs responsables du Front de gauche en appeler à la défense de la souveraineté nationale de la Grèce contre la mise sous tutelle de l’UE. Ou au respect de la souveraineté populaire du peuple grec dans son choix du non au référendum. Lors du dernier congrès du Parti de gauche, une motion, inspirée par vos écrits et ceux de Frédéric Lordon, qui prônait l’« élaboration d'un programme de gouvernement dans le cas de la rupture avec l’UE et l’euro », a recueilli un très bon score… 
Je ressens cette évolution. Il y a affectivement la motion du PG qui a fait pas mal de bruit dans le microcosme. Il y a aussi une tendance au NPA qui est pour la sortie de l’euro et de l’UE. Et c’est vrai que ce débat avance, avec des gens comme Frédéric Lordon, ou moi, je l’espère en tout cas un petit peu. Mais la difficulté est que ça ne va pas assez vite au niveau des directions militantes. Or, si nous ne sommes pas clairs sur ces questions-là, il n’y a aucune chance d’être crédibles dans le champ politique.
C’était déjà le cas avant Syriza. Ce que préconise le Front de gauche (changer les choses de l’intérieur, négocier...), c’est, en un peu plus rouge, le discours sur « l’Europe sociale » du Parti socialiste. C’est le coup que nous a fait Lionel Jospin en 1997 et que nous a refait François Hollande en 2012 en début de mandat. Evidemment, je pense que si le Front de gauche était au pouvoir, il serait beaucoup plus dur, je ne remets pas en cause les intentions de ses dirigeants. Mais ce discours est, à mon avis, inaudible. Il l’était déjà avant le cas de la Grèce, il l’est d’autant plus aujourd’hui.
La prochaine fois qu’un dirigeant français de la gauche radicale dira « Nous allons négocier et obtenir gain de cause », plus personne ne pourra le croire. Aujourd’hui, avec le revers de la Grèce, ce serait totalement suicidaire de tenir ces propos. La seule position tenable est de dire que « Oui, on ira à l’affrontement, mais en sortant de l’ordre juridique et monétaire européen ». Ne pas se priver de peser sur les institutions européennes, à la seule condition d’avoir d’abord récupéré notre souveraineté monétaire et économique. Sinon, on le voit bien, il n’y a pas de négociations possibles.
Donc, la stratégie du Front de gauche, n’est plus valable aujourd’hui. Soit il continue à s’enfermer dedans et là, si j’étais à la place de Marine Le Pen, je me frotterais les mains. Car la marche vers les prochaines échéances électorales serait toute tracée et elle n’aurait plus rien à craindre de la gauche radicale. Soit il y a un sursaut, et le moment s’y prête. S’il y avait des gens qui n’avaient pas encore compris la vraie nature de l’UE, des gens optimistes — pour ne pas dire naïfs — qui pensaient qu’un pays auréolé d’une légitimité démocratique, d'un programme électoral, serait en mesure de faire plier la BCE et toutes les institutions européennes, ils en sont à coup sûr revenus. Aujourd’hui ce n’est plus possible de défendre cette position. Continuer à le faire ne serait plus de la naïveté, mais de la bêtise.

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