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Rentrée littéraire : les flops

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Copies illisibles, hors sujet ou indigestes. Pour vous, "Marianne" s'est infligé la lecture des cancres de la rentrée 2015

Une lecture impossible 
Le nouveau récit de Christine Angot cite à la fois la belle Dalida, « Notrrre histoirreu, c'est l'histoirreu d'un ammourr », et l'héroïque Buzz l'Eclair, puisque l'auteur y avoue aimer sa mère « plus loin que l'infini » - et visiblement plus loin que la grammaire. Deux beaux parrains. Un buzz éclair, c'est en tout cas ce que fera Angot lors de cette rentrée littéraire, puisque son livre contient les mêmes thèmes que toutes les précédentes autofictions du Corpus Christine : la description d'un couple raté, la révélation de l'inceste, la haine de la société... Ah, oui ! : Un amour impossible n'est pas vraiment un roman optimiste et solaire.
C'est l'histoire d'un amour impossible, donc, entre les parents de l'écrivain, Rachel Schwartz et Pierre Angot. Elle est secrétaire, il est traducteur. Elle est simple, il est arrogant. Elle est fidèle, il est volage. Ils auront une fille, mais jamais de véritable vie de couple. Comment Rachel a-t-elle pu l'aimer ? Comment n'a-t-elle pas vu sa suffisance et sa nullité, sa monstruosité ? C'est ce qu'essaie de comprendre l'auteur, dans un récit qu'on lit d'abord avec un peu d'intérêt, mais qui agace et ressasse trop pour émouvoir vraiment. « Ah la la mon Dieu, qu'est-ce que j'en ai marre, mon Dieu, mais j'en ai marre, j'en ai marre, j'en ai marre, mais j'en ai marre !.... [...], mais qu'est-ce que j'en ai marre mon Dieu... », « Je suis tombée dans l'eau Je suis tombée dans l'eau Je suis tombée dans l'eau Je suis tombée dans l'eau Je suis tombée dans l'eau Je suis tombée dans l'eau Je... », « Qui veut du sable doux, qui veut du beau sable doux ? Qui veut mon beau sable doux ? Qui veut acheter mon beau sable doux ? » On se sent gêné devant ces petits remplissages qui servent d'effets de réel, comme par beaucoup d'autres phrases tout au long du livre, telle cette belle prophétie, évidemment, lorsque Angot voit le jour : « Les enfants nés aujourd'hui auront une belle intelligence, une nature généreuse et altruiste, mais assez indisciplinée et prompte à la révolte, ou à la colère. » Ou comme lors de cette terrible révélation, à l'entrée de l'adolescence : « Hhhan !!!!!! Christine elle a du poil aux fesses !!!! »... Ou encore par cette pseudo-lacanerie, à sa mère qui fait une infection des trompes en apprenant les gestes de Pierre : « Comme par hasard. Des trompes. Tu venais d'être détrompée. Hhhh ! » Et on ne sait que dire des 15 dernières pages, et de leur fausse conclusion sociologique... Bref, un texte épars, un récit mal fichu, un habit d'Arlequin tissé de fil blanc. Voici ce qui arrive quand on croit que la littérature consiste simplement à décrire le réel. On veut hurler et non pas écrire. On veut être craint et non être lu. On veut tout inscrire dans le texte, tout dire : et le texte dès lors ne dit plus rien. Plus rien du tout.
Laurent Nunez
Un amour impossible, de Christine Angot, Flammarion, 220 p., 18,00 €.

 

Simon Liberati mal réglé
C'est un livre dont l'âme se dévoile vite et bien, mais dont le cœur du sujet est à la fin. Quand le texte atteint les profondeurs qu'on en attendait : deux artistes amoureux travaillant en commun sur un film (en l'occurrence, Rosa Mystica, court-métrage commandé par Canal +). Auparavant, Eva aura retracé les retrouvailles miraculeuses d'Eva Ionesco et de l'auteur, Simon Liberati, début 2013. Plus de trente ans après leurs premières rencontres dans le Paris des années Palace, quand la jeune fille avait déjà été starifiée et détruite par les photos dénudées prises par sa mère, la photographe Irina Ionesco. Quand ils se revoient, Liberati a publié quatre beaux romans (dont l'un inspiré par Eva Ionesco) et elle est devenue comédienne, non sans avoir réglé ses comptes familiaux dans un film (My Little Princess, 2011). Plusieurs soirées auront raison de leur timidité d'intoxiqués, et transformeront leur élan en baisers. Depuis, ils se sont mariés.
Ces histoires sont le sel des romans d'amour. Mais celle de nos deux artistes, bien réels, a su triompher de bien des vents contraires. A commencer par ceux d'Irina Ionesco, qui cet été saisissait la justice pour faire supprimer des passages du livre la concernant (par décision du 3 août, le TGI de Paris l'a déboutée de sa requête). De plus, ce livre de Liberati part d'un élan bigrement littéraire : « Je croyais en la littérature, je lui avais juré fidélité et l'élue de ce vœu souffrait de se voir préférer une seule femme [...]. La seule issue que j'ai trouvée à ce dilemme était de prendre l'objet de mon amour, Eva, et d'en faire un livre, Eva. » Las, le livre ne correspond pas à l'attente et n'est que le making of de ce qu'il annonce être. Conscient des liens incroyables unissant leurs destins, l'auteur semble débordé par l'ampleur de son sujet, et le traite en se mettant trop en scène. On est entre le journal intime et la déclaration plutôt que dans un grand livre sur l'amour, l'art, et la façon dont deux artistes s'aiment et s'obsèdent. C'est un ouvrage particulier, certes. Mais sur le sujet, avec un personnage tel qu'Eva Ionesco, et avec une plume telle que celle de Liberati, on aurait souhaité un livre universel.
Hubert Artus
Eva, de Simon Liberati, Stock, 288 p., 19,50 €.

 

Vigan sans vigueur
Après avoir traité de l'exclusion, de l'anorexie, du harcèlement moral, des troubles bipolaires, Delphine de Vigan s'attaque à un autre grand thème à la mode : les pervers narcissiques. Ou plutôt les perverses narcissiques, puisque ce récit met en scène la vampirisation de la narratrice, écrivain célèbre qui ressemble évidemment comme deux gouttes d'eau à l'auteur, par une certaine L. Celle-ci, après s'être rendue indispensable, la dévore peu à peu en exploitant ses failles les plus intimes - malgré l'authentique amour d'un certain François, un critique littéraire de la télé très, très séduisant mais visiblement toujours en voyage - au point de la faire sombrer dans deux ans d'impuissance créatrice. Rassurons tout de suite le lecteur : heureusement pour la rentrée littéraire, l'écrivain parviendra à se libérer de l'emprise de L. pour nous raconter à la première personne, avec tous les détails psychologiques prévus par les magazines, les étapes de cette relation de possession amicale virant au cauchemar.
Même mis en scène avec beaucoup d'effets de manches, analysé avec une ingénuité assez fade, entrelardé de bons sentiments et autres scènes au Super U, et délayé, sans ambition stylistique aucune, dans une somme de banalités diverses sur « la vie » (n'est pas Annie Ernaux qui veut), le thème de l'ensorcellement de la narratrice par L. ne suffit pourtant pas à l'auteur. Car rien ne serait intéressant sans le piment d'un twist final, horrifique et fantastique à la fois, ouvertement emprunté à Misery, de Stephen King. A quoi s'ajoute aussi, malheureusement, l'ambition de réfléchir aux rapports (évidemment compliqués, ambivalents, cruels, réversibles - ajoutez les épithètes souhaitées) de la fiction et de l'existence, de l'écrivain et de ses personnages. Fantastique du quotidien, narration piégée, proximité de la folie et de la création... c'est ici chez Borges et Nabokov (via Amélie Nothomb) que l'écrivain vient faire son marché, sans rencontrer plus de succès que dans les 450 pages de lieux communs aseptisés que son récit nous avait d'abord infligés. Bref, une histoire pas vraiment vraie et vraiment pas réussie. Ce n'est pas grave : on est sûr que François l'invitera dans sa belle émission.
Alexandre Gefen
D'après une histoire vraie
, de Delphine de Vigan, JC Lattès, 484 p., 20 €.

 

Terreur littéraire 
« Le temps d'organiser les formalités de départ et nous fûmes cueillis par la police qui nous coffra aussitôt. Quelle déveine ! Quel coup du sort ! » L'auteur du propos n'est pas un gentleman cambrioleur du XIXe siècle, mais bien Chérif Kouachi, l'un des terroristes du 7 janvier, à qui le romancier Benjamin Berton redonne vie ici de façon problématique : resté planqué quatre mois sous terre dans une fosse creusée en forêt, le djihadiste n'est pas mort et sa disparition a été tue au nom de la raison d'Etat. Muni d'une nouvelle identité, il livre, plusieurs années après son « glorieux fait d'armes », le bilan d'un parcours tortueux, trop peut-être...
Devenu, sous la plume de Berton, un adepte de la narration au passé simple et du langage châtié, on pourrait croire que Kouachi est passé des centres d'entraînement d'Al-Qaida aux séminaires de la baronne de Rothschild. Désormais responsable marketing en téléphonie mobile, le fanatique s'est de surcroît marié à une jeune femme « de confession catholique » et « follement éprise », au cœur d'une France « magnifique ».
En fait, le principal écueil de ce récit réside dans son timing : fictionnaliser si tôt les attentats de janvier oblige l'auteur à broder autour d'éléments biographiques connus, à enfoncer des portes ouvertes (« dans une prison, les croyants et les mollahs, comme les gardiens nous appelaient, sont paradoxalement parmi les détenus les plus appréciés ») et, sans doute, à mettre beaucoup de lui-même dans ce Kouachi ressuscité, qu'on imagine par exemple mal évoquer, même pour rire, le Seigneur des anneaux ou Fun-Da-Mental, un obscur groupe de « hard world métal » anglais. En bref, cette « renaissance » produit un effet d'humanisation factice, non dénuée d'un certain comique qui, à lui seul, justifierait presque la lecture.
Thomas Rabino
J'étais la terreur,
de Benjamin Berton, Christophe Lucquin éditeur, 220 p., 14 €.

 

La lourdeur de l'acrobate
« Dessiner une autre histoire de France, par intervalles et par traversées », telle est la grande ambition de ces Mémoires d'outre-mer. A travers l'histoire de son grand-père Maxime Ferrier, acrobate devenu négociant à Madagascar, Michaël Ferrier explore ses origines métisses et compliquées. Projet intéressant. Pour peu que l'on ait aimé son précédent livre sur Fukushima, beau Récit d'un désastre (Gallimard, 2012), on serait tenté de se précipiter sur ce nouvel opus. Mais qu'est-il arrivé à Michaël Ferrier ? Le voilà qui s'empêtre dans une approche démonstrative, aggravée d'une plume emphatique : « Plutôt que le panorama, la plongée, multiple et renouvelée. A la logique circulaire du tour de "la" France, substituer celle du détour, de l'aléa. Autrement dit : désarticuler les normes, réintroduire du jeu, explorer les points aveugles de la France, ce qu'elle a toujours considéré comme son dehors ou ses extrémités, ses boutures. » En hommage peut-être aux débuts de son aïeul dans un cirque, l'auteur écrit comme on claironne, il enchaîne les effets de style comme d'autres les roulements de tambour, le tout ponctué de points d'exclamation, points de suspension et italiques qui ressemblent à des clins d'œil appuyés. Cabotinage au long cours : on croirait lire Philippe Sollers. Qui est, justement, l'éditeur de Ferrier. Peut-être faut-il voir là un phénomène redoutable de vampirisme éditorial : « Comment ? Une France multiterritoriale, aux temporalités qui s'ignorent, se répondent, s'enlacent, se superposent ?.... Topographie déconcertante, encyclopédie improbable... Surprises à répétition ! » De fait, les répétitions ne manquent pas. Qu'il s'agisse de trapèze, de boxe, de navigation, de musique, de couture ou d'ichtyologie, il n'est question que de « précision admirable » (ou « inouïe », « extraordinaire »). Rarement la « fluidité » et la « légèreté » (concepts fétiches) auront été défendues avec pareille lourdeur. Dommage.
Eve Charrin
Mémoire d'outre-mer, de Michaël Ferrier, Gallimard (« L'Infini »), 340 p., 21 €.

 

Des camelots de camelote 
Le pitch était engageant : on espérait picorer d'un stand à l'autre, chez ces marchands ambulants, les tragicomédies d'une agora quotidienne, braderie romanesque où se déballerait, à la criée, le vaudeville humain. Mais le marché du village de Carri, sur l'Atlantique, où Jeanne et Bruno viennent planter leurs tréteaux, reste en travers de la gorge. Nous refourguant une bimbeloterie tombée du camion, Eric Holder fait grincer des dents.
Nanou Primeur, Migraine, Casquette... La troupe des camelots est croquée par un soulignement pittoresque factice - jusque dans ces surnoms choisis au surligneur. Holder endosse la cape d'un sous-Pagnol dont il ventriloquerait les effets de manches et la parlure populaire. Les brutes épaisses, dont le gargotier mafieux Forgeaud, étalent leur veulerie à longueur de tirades triviales, qui sonnent faux. Les effets de style sont réservés à ceux qui se trouvent du bon côté de ce stand de la pureté, vecteurs de spiritualité (« Jeanne ne s'était jamais sentie exister qu'au bord de disparaître »). Résultat des courses : un collage bancal entre récit et dialogues, où ce combat grotesque des forces du Bien contre le Haut Mal dessine sa propre caricature. « Serait-on sur Mars, il y a des choses qu'on ne peut pas laisser passer, ou alors c'est faire le lit de l'oppression », prévient Bruno le justicier.
Shampouinage écœurant, la Saison des bijoux est un deux-en-un : roman-camelote, et défouloir à lire les jours de colère rentrée : effet garanti, on explose en vol. Si certaines formules sont heureuses, elles se font dévorer par leur traduction explicite : « Le décor de Forgeaud respirait la sévérité de sa philosophie, l'existentialisme par les chiffres. Pour lui, si l'homme était la somme de ses actes, il s'agissait d'entendre, dans "somme", l'argent en circulation. » Plus toxiques encore, certaines donnent la nausée : Bruno attache Jeanne en laisse « comme une chienne » pour ne pas qu'elle le quitte, ou ces considérations sur la lâcheté d'un agressé au couteau qui ne se défend pas (ah ! le refrain des victimes toujours un peu coupables...). Un conseil : changez de crémerie.
Juliette Einhorn
La Saison des bijoux,
d'Eric Holder, éd. du Seuil, 350 p., 18,50 €.

 

Tolstoï à portée des caniches
On ne saurait accuser Laurent Seksik de manquer d'ambition. Après avoir brodé sur les destins de Zweig et d'Einstein, l'écrivain-journaliste-radiologue s'attaque à l'histoire tragique du XXe siècle européen (le tsarisme, le stalinisme, mais aussi le nazisme en bonus), met en scène la question de la fidélité et de l'identité, le drame du cancer et les tourments de la stérilité - il semblerait juste que les graves questions du réchauffement de la planète et du devenir des éditions Flammarion depuis leur rachat par Gallimard soient mises de côté pour plus tard. Amateur de pathos, fatigué des subtilités psychologiques, des efforts inutiles d'humour et de style des écrivains d'aujourd'hui, sceptique face aux tentatives de renouvellement des formes et des sujets de la littérature contemporaine française, vous avez demandé un grand roman romanesque comme on n'ose plus en faire ? Le genre russe-grandiose-mais-tourmenté vous plaît, mais Tolstoï vous paraît trop long et Dostoïevski, trop compliqué ? Vous aimez les grandes sagas, mais vous vous endormez après 300 pages ? Vous rêvez de la « traversée d'un siècle », d'une histoire familiale estampillée « à l'ancienne », mais pétrie de problèmes tout contemporains ? Dans un monde de séries télé, vous manquez de grandes phrases emphatiques et de formules réalistes médicalement certifiées, de « cimetières balayés par le vent » et du « feu d'artifice » du battement du cœur d'un embryon ? Vous adorez les personnages étiquetés inoubliables et faits maison ? Le « spectacle désolé de feux déjà éteints et le vide terrible du fond des grands tombeaux » ne vous effraient pas ? Vous pensez que le ridicule ne tue pas et que, vous aussi, « vous avez le droit de pleurer » ? Vous avez compris que la littérature ne doit pas s'épargner la grandiloquence si elle s'attache à des problèmes éternels de la condition humaine ? Qu'un écrivain ne saurait avoir peur de répéter ce qui a déjà été mis en scène cent fois chez Philip Roth ou Isaac Bashevis Singer ? Allez, mais n'oubliez pas vos mouchoirs.
Alexandre Gefen
L'Exercice de la médecine, de Laurent Seksik, Flammarion, 227 p. 14,99 €.

 

Ford invente le roman de comptoir 
Artificiel et réactionnaire, le nouveau Richard Ford esquisse le portrait d'un petit-bourgeois sans intérêt, dans un style d'une insondable médiocrité. Figure de proue des lettres nord-américaines, le flamboyant écrivain, jadis nimbé du prix Pulitzer pour Independance et son personnage de Frank Bascombe, semble avoir la gueule de bois - sinon la recette du néant romanesque absolu. Avec sa psychologie de comptoir, En toute franchise pose la question du devenir du personnage qui a fait son succès, trente ans après l'intronisation de l'agent immobilier en littérature.
On est en 2012, durant le second mandat d'Obama - après les ravages de l'ouragan Sandy et ses conséquences spéculatives catastrophiques. Ford continue ainsi d'arpenter la ligne de faille des désillusions familiales. Les premières pages peinent pourtant à dissimuler l'écueil d'un texte noyé dans un salmigondis de références culturelles cryptiques pour les lecteurs non atlantistes. Partout, les divagations de Frank égrènent les stéréotypes, quand elles ne font pas trop longuement état de ses problèmes de prostate ou de transit. On est en fait en face d'un vrai « beauf », qui avance à peine masqué avec ses théories fumeuses sur la frustration des femmes, justifiant le nombre de lesbiennes converties sur le tard. Que dire enfin de son plaidoyer pour la femme noire - et avec elle « de quoi donner à tout individu, homme ou femme, l'envie d'être noir, ne serait-ce qu'à temps partiel » ? Comme si, souterrainement, l'œuvre était devenue le lutrin d'élucubrations nauséabondes - sortes de chroniques du racisme ordinaire.
On souhaite à l'auteur du sublime Canada de dépasser ce sabordage. Par moments, il parvient bien à se désolidariser de Frank, lorsqu'il l'évoque ainsi qu'un écrivain raté - « ultime avatar pour l'optimiste tendance loser ». Ford aurait gagné à cultiver sa verve habituelle, plutôt que cette prose stérile et vaniteuse, annonciatrice d'une triste antienne poétique. L'arte povera d'un patricien sans envergure, déconnecté du monde et embarqué dans une sacrée galère - à la lisière du degré zéro de l'écriture.
Benoît Legemble
En toute franchise,
de Richard Ford, L'Olivier, 233 p., 21,50 €.

 

Félicité, première de corvée
Félicité Herzog s'est fait connaître il y a trois ans avec un best-seller « règlement de comptes » qui déboulonnait la statue de Maurice Herzog, vainqueur de l'Annapurna. On y découvrait un homme d'une absolue froideur, un séducteur ambigu, un père tyrannique méprisant un fils schizo- phrène et une famille qui avait trempé dans la Collaboration. Ouf ! Le livre n'était pourtant pas que cela, et y pointaient aussi une tendresse et un désarroi sincères. On le refermait avec un sentiment ambigu. Ecrivain ? Pas écrivain ?
Pour son deuxième livre, Félicité Herzog s'attaque au roman pur. Désignée en 2006 comme « l'un des 50 jeunes loups du capitalisme français » par l'Expansion, elle dépeint un milieu qu'elle connaît bien. Ce qui ne veut hélas pas dire qu'elle en parle bien. Gratis nous entraîne aux côtés d'un jeune homme doué pour le business, Ali Tarac, qui va devenir un des rois de la start-up et fonder un empire mondial. Bien sûr, après la montée vient la chute. Tout s'écroule, et notre héros disparaît. Les personnages de cette première partie sont évanescents, et le regard porté sur le milieu est sans relief. Sulitzer est plus drôle, Stéphane Osmont, plus percutant.
Mais c'est la deuxième partie, flirtant mal avec le conte philosophique, qui consacre l'échec du livre. Tarac, qui a donc disparu, crée une société appelée « New Birth » qui offre aux gens la possibilité de changer d'identité. Cette merveille est « l'ultime porte de sortie » pour « les êtres désespérés qui n'attendent plus rien de l'existence que de la souffrance ou de la honte ». Pour ceux qui attendent de la littérature autre chose que des enfilades de clichés, elle semble en revanche tout à fait impuissante.
Hubert Prolongeau
Gratis,
de Félicité Herzog, Gallimard, 243 p., 18,50 €.

 

Mise en bière 
Comme tout le monde, les écrivains et leurs lecteurs ont besoin de repères. Peut-être est-ce la raison qui poussa Philippe Delerm, dix-huit ans après la Première Gorgée de bière (Gallimard), à lui donner une suite. Car les Eaux troubles du mojito sont une sorte de continuité, dans la forme comme dans le fond, du recueil (de jolie facture littéraire, et qui collait alors à l'air du temps) qui révéla l'auteur. Quarante « vignettes » de une à trois pages chacune évoquent des images du passé, rappellent des balades et des villes (Paris, Venise, Bruges), traitent de rites sociaux, rendent quelques hommages littéraires. Et, à l'instar du texte qui donne son titre au livre, font quelques digressions sur des boissons apéritives (spritz, guignolet, mojito). Ainsi, Delerm écrit-il ici sur la façon dont il profite de « chaque goutte du quotidien ». Si certaines vignettes revêtent de réelles dimensions de cœur, de curiosité et d'universalité, la majeure partie tombe dans la futilité, la paresse ou l'inutilité. Où diable est le sens d'écrire ainsi sur la pastèque (« La pastèque n'a goût de rien, et c'est donc elle qu'on désire en vain »), sur le jardin du Luxembourg (« Les trois syllabes Luxembourg ont quelque chose de précieux et de fermé »), sur les natures mortes et les soirées vivantes si c'est pour conduire à des conclusions comme : « Souvenons-nous du présent. Vivons dans le présent. Avec le sentiment que c'est presque impossible » ? Manquant de colonne vertébrale, le livre tient du catalogue, alors qu'il se voudrait quelque part entre le journal d'un écrivain et le récit littéraire. Inodore et incolore, ce qui est un comble pour un ouvrage traitant des « raisons d'habiter sur Terre ». Un livre pour les fans, peut-être, mais pas un livre de rentrée littéraire.
H.A.
Les Eaux troubles du mojito et autres belles raisons d'habiter sur Terre,
de Philippe Delerm, Le Seuil, 128 p., 14,50 €

 

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