Vélos, socialos, bobos...

Taille de la police: Decrease font Enlarge font

En ce mois d'août, "Marianne" se replonge dans ses archives estivales. Eté 2007, Bertrand Delanoë, le papa du Velib à Paris, raflait la mise et lançait la mode en France...

> > > Article paru dans Marianne daté du 25 août 2007

C'est le tube de l'été: un petit vélo qui les rend tous fous. Le succès des Vélib', d'ampleur inattendue, se révèle contagieux. Paris, qui a copié l'initiative de Lyon, Vienne (Autriche) et Bruxelles, est jalousé dans toute la France. Marseille, Toulouse, Besançon, Caen, Perpignan, Mulhouse sont déjà dans les cale-pieds. Dijon, Caen et Nantes sont sur le point de participer à ce furieux contre-la-montre. Fin juillet, Séville a reçu 2 500 vélos. Même Londres, la ville « la plus moderne du monde », étudie humblement le système de vélos en libre-service - une petite revanche pour Bertrand Delanoë, qui a perdu les jeux Olympiques de 2012 au profit des Anglais... Depuis le 15 juillet, malgré le temps maussade en Ile-de-France, la petite reine gris nacré a été utilisée plus de 2 millions de fois. Les Vélib' sont pourtant si lourds - 22 kg, soit environ 7 kg de plus qu'un vélo du commerce - que le moindre déplacement vous condamne au hammam. . .

Mais qu'importe ! Les élus des communes limitrophes rêvent de bornes JC Decaux dans leurs rues. De droite ou de gauche, chez les rupins comme chez les prolos, les maires, fébriles à quelques mois des municipales, assimilent cet équipement à une assurance réélection. Boulogne, Vincennes, Saint-Mandé, Issy- les-Moulineaux, Vanves, mais aussi Pantin, Le Pré-Saint-Gervais, Saint-Ouen ou Montreuil revendiquent le droit de pédalei sur ces biclous. Même Neuilly-sur-Seine ne snobe pas l'aventure. Avec ses Vélib', le maire de Paris n'a pas seulement réussi à occulter le bilan décevant de l'édition 2007 de Paris Plage, il a lancé une mode!

Pile dans l'esprit du temps

Triomphe miraculeux pour Delanoë qui depuis de nombreux mois cherchait un second souffle. Pour les électeurs zappeurs, en effet, ses premiers coups d'éclat - Nuit blanche, Paris Plage, voies sur berge neutralisées le dimanche au profit des piétons et cyclistes - sont désormais si anciens qu'ils semblent avoir toujours existé. En outre, ses audaces, et la communication assourdissante qui les ont accompagnées, ont effacé d'autres initiatives (marchés publics, petite enfance, solidarité...) et collé à l'ex-apparatchik jospinien l'étiquette de « maire de bobos ». Pendant les trois premières années de son mandat, « Bébert 1er » s'est lui-même complu en roitelet « festif », uniquement préoccupé par la frange de Parisiens susceptibles d'emprunter des couloirs de bus isolés à grands frais, à vélo de préférence. Ainsi caricaturé, Delanoë trônait sur un siège éjectable, coupé des classes moyennes et populaires, jeunes ou moins jeunes en quête d'un emploi stable, d'un logement social ou tout simplement abordable, d'une place en crèche et d'une offre de transports en commun. Nonobstant la faiblesse de son opposition, il était menacé sur sa gauche et sur sa droite. Fin politique, il a fini par flairer le danger électoral. Et, paradoxalement, Vélib' lui donne une autre dimension.

Delanoë aura fait la démonstration qu'il vibre en phase avec l'esprit du tempsCe service, si l'on en juge par l'exemple lyonnais, concerne en effet une frange de la population beaucoup plus large que les précédents utilisateurs de vélo. En un mois, le Vélib' s'est imposé comme l'objet tendance du moment. L'humanité culpabilisée par le réchauffement climatique se pique d'écologie ? Cela tombe bien, le cycliste respecte l'environnement. Le citadin raffole de convivialité à défaut de fraternité ? Parfait, puisqu'à vélo, on se sourit, on se raconte des histoires de « vélibertaires » et plus, si affinités. Les consommateurs recherchent, sur Internet ou dans les vide-greniers, au mieux la gratuité, au pis la bonne affaire ? Le providentiel Vélib', conçu sur le principe de la licence globale, économise un ticket de métro. Si les Parisiens confirment leur engouement au-delà de l'été, rentabilisant enfin d'onéreuses pistes cyclables qu'ils boudaient jusqu'alors, Delanoë aura fait la démonstration qu'il vibre en phase avec l'esprit du temps.

Les élus des communes environnantes ont immédiatement perçu l'avantage que risquait de prendre le maire de la capitale. Pour la première fois, ils ont salué l'initiative, contrariant spectaculairement leur réflexe habituel qui consiste à hurler contre l'égoïsme parisien. L'égoïsme, pourtant, est patent. Soucieux de mettre en place Vélib' sans débourser le premier euro et dans un délai de quelques mois, Delanoë a décidé de passer un contrat atypique : les recettes publicitaires assurent le financement du service de location de vélos. Ce contrat, décroché par JC Decaux, fait du numéro un mondial du mobilier urbain, propriétaire du système, un interlocuteur obligatoire de toute discussion à venir concernant la bicyclette en libre-service en Ile-de-France!

Or, ce choix, dénoncé en son temps par les élus verts du Conseil de Paris, désavantage les communes dont le marché publicitaire est modeste. « Notre commune est trop petite pour intéresser qui que ce soit ! », observe ainsi Patrick Baudoin, député-maire d'une ville, Saint-Mandé, qui occupe à peine 1,2 km ! Pourtant, c'est à peine si, timidement, tel ou tel maire regrette que sa ville n'ait pas été associée dès les prémices du projet. Pierre Gosnat, maire PCF d'Ivry-sur-Seine, a pris la plume le 17 juillet pour signifier à son camarade socialiste, en termes diplomatiques, qu'il regrette « qu'il n'ait pas été étudié un véritable franchissement du périphérique, afin de permettre à de nombreux Franciliens d'abandonner leurs véhicules ». De fait, par-delà les discours forcément enthousiastes d'élus qui ne veulent pas jouer les grincheux, Vélib' n'est pas seulement l'instrument de liberté complaisamment décrit. Les vélos gris, ne circulant qu'à l'intérieur du périphérique, apparaissent comme un privilège supplémentaire offert aux Parisiens. Aux banlieusards, il reste le choix entre s'entasser dans des rames bondées de RER ou de train, ou perdre leur temps dans les embouteillages.

Et l'autre côté du périph?

les Parisiens profitent ainsi d'un service qui paraît hors d'atteinte pour les autres FranciliensLa mairie d'Ivry regrette, par exemple, que la disposition des stations Vélib' à sa frontière rende le système inutilisable pour les Ivryens venant travailler intra-muros. Non content d'acquitter des impôts plus faibles et de jouir des lumières de la capitale, les Parisiens profitent ainsi d'un service qui paraît hors d'atteinte pour les autres Franciliens. Soucieux de tourner à son avantage la grogne qu'il sentait poindre, Delanoë a demandé à son adjoint Pierre Mansat, chargé des relations avec les collectivités territoriales d'Ile-de-France, de réfléchir à l'extension en banlieue du système parisien. A brève échéance des bornes pourraient être installées près du Centre national de la danse, à Pantin, du musée d'Art contemporain de Vitry-sur-Seine ou du château de Vincennes. « Notre souhait est évidemment de trouver une solution de partage avec les communes voisines, comme c'est déjà le cas, par exemple, à travers l'aménagement de pistes cyclables intercommunales », a indiqué le maire de Paris. Et il ne veut pas en rester là. Vélib', de symbole du splendide isolement parisien, pourrait devenir le précurseur d'un grand chambardement administratif des frontières artificielles de l'Ile-de-France.

Depuis une vingtaine d'années, en effet, la plupart des spécialistes de l'aménagement du territoire (urbanistes, géographes, élus qui jonglent avec les Sdrif, Stif, Epad et ZUS) déplorent la segmentation des politiques publiques dans la région capitale. L'actuel découpage en communes, départements et région institutionnalise la rivalité entre pouvoirs politiques également légitimes, Or, ce jeu apparemment équitable avantage les plus gros, les plus riches, les plus influents. Ainsi Jacques Chirac, maire de Paris, ou Charles Pasqua, président du conseil général des Hauts-de-Seine, ont-ils vécu d'heureuses années retranchés dans leur palais respectif. Pourtant, la congestion de la zone centrale (Paris et les communes alentour, soit de 4 à 6 millions d'habitants) a pris une tournure si dramatique que le statu quo est impossible. Y compris du point de vue de la capitale, qui n'a plus les moyens de respirer, au sens propre, sans se préoccuper de son voisinage.

Après avoir appliqué une politique antibagnole qui, n'ayant pas été accompagnée d'une offre de transport supérieure, a été perçue comme une offense à la banlieue, Delanoë veut améliorer ses relations avec elle. L'adjoint PCF Pierre Mansat s'est démultiplié pour tenter d'aplanir les tensions entre Paris et sa périphérie immédiate, notamment lors de la couverture du périphérique, un projet pharaonique qui atteste de la volonté d'ouverture de la municipalité parisienne. En juillet 2006, le maire de Paris a aussi suscité une conférence métropolitaine, structure sans finances ni pouvoir décisionnel, où les maires d'une cinquantaine de communes, les représentants des départements et de la région débattent transports, logement, développement économique. Mais cette organisation est si informelle que Delanoë a « oublié » d'y évoquer son projet de Vélib' ...

Cacophonie sur le Grand Paris

dès que l'on parle « pouvoir » en Ile-de-France, c'est la grande cacophonieComment aller plus loin ? « Le succès de Vélib' est la preuve qu'il y a une communauté de vie au coeur de l'agglomération Grand Paris ! Reste à l'organiser», déclare Roger Karoutchi, secrétaire d'Etat chargé des Relations avec le Parlement et président du groupe Majorité présidentielle au conseil régional d'Ile-de-France. Curieusement, dans ce débat, les solidarités ne sont pas celles auxquelles on pense. Car, dès que l'on parle « pouvoir » en Ile-de-France, c'est la grande cacophonie. Il y a d'un côté les « grand-paristes », partisans d'une structure regroupant le « coeur d'agglomération » dont les contours recoupent, peu ou prou, les limites de l'ancien département de la Seine, soit Paris, le Val-de-Marne, les Hauts-de-Seine et la Seine-Saint-Denis.

Son plus bruyant supporteur est Roland Castro, architecte, urbaniste et animateur du Mouvement de l'utopie concrète. Le Grand Paris, c'est son bébé, il l'avait déjà proposé à François Mitterrand en 1983, avec force projets de grands travaux d'aménagement « Cette fois-ci, je sens que c'est mûr, affirme-t-il. Ne serait-ce qu'à cause des émeutes de 2005. On ne peut pas continuer à avoir une ville à deux vitesses, avec tout ce qui est beau, bien desservi d'un côté, et tout ce qui est moche, enclavé, difficile, de Vautre. » Roland Castro, qui a travaillé avec Charles Pasqua dans les Hauts-de-Seine, vient de trouver un porte-parole de choc en la personne de... Nicolas Sarkozy. Car Sarkozy ne souhaite pas qu'une réforme administrative, il se veut aussi le « grand aménageur » de l'Ile-de-France, réservant à l'Etat, donc à lui-même, le droit de redessiner la région produisant un quart du PIB national.

Le 26 juin, profitant d'une inauguration à l'aéroport de Roissy, le chef de l'Etat, citant Haussmann, l'inventeur du Paris moderne, et Paul Delouvrier, le préfet qui a impulsé la création des villes nouvelles, a carrément évoqué l'idée d'une « communauté urbaine de Paris », sur le modèle de Lyon, Lille ou Bordeaux. Un choix assez radical, qui froisse forcément la susceptibilité des communes et des départements, mais que Bertrand Delanoë s'est gardé de récuser publiquement ! Son adjoint Pierre Mansat évoque d'ailleurs, « à titre personnel », l'idée d'une « structure de type fédérale » où Paris et les collectivités environnantes prendraient des décisions concernant leur avenir commun. « Si on avait eu la communauté urbaine, il y aurait des Vélib' partout dans la région », s'emballe Philippe Laurent, maire UDF de Sceaux, qui rêve surtout d'un partage des ressources financières à travers« l'harmonisation des taux d'imposition locale sur les ménages ».

La peur de l'ogre parisien

Roger Karoutchi, fidèle de Sarkozy, lancera en septembre, sur Internet, une campagne pédagogique en faveur du Grand Paris. Pour sa part, il se prononce pour une sorte de supersyndicat intercommunal, sur le modèle de ceux qui gèrent déjà l'eau ou les ordures ménagères. L'opposition au Grand Paris est incarnée par Jean-Paul Huchon. L'intégration des collectivités, qui aurait permis de contracter un accord du type Vélib' pour un ensemble de communes, est son cauchemar. Déjà hostile à la conférence métropolitaine, le président du conseil régional fait valoir que les confins de l'Ile-de-France auraient fort à perdre de l'organisation du coeur de l'agglomération, où se concentrent la richesse et la population.

L'opposition au Grand Paris est incarnée par Jean-Paul HuchonHuchon se veut le garant des intérêts des Franciliens excentrés, notamment à travers le schéma directeur de la région (Sdrif), en discussion. En outre, à titre personnel, il craint d'y perdre le fragile magistère politique qu'il exerce encore. Nombre d'élus partagent ses réticences, effrayés à l'idée de dissoudre la sacro- sainte « identité » de leur collectivité. Le communiste Patrick Braouezec, président de Plaine Commune, qui rassemble les villes d'Aubervilliers, Epinay- sur-Seine, L'Ile-Saint-Denis, La Cour- neuve, Pierrefitte-sur-Seine, Saint-Denis, Stains, Villetaneuse, considère ainsi que « créer le Grand Paris [et] déplacer le curseur administratif parisien pour y englober la petite couronne, c'est poursuivre simplement une histoire monocentrée dont il est urgent de sortir ». L'ex-maire de Saint-Denis propose de « définir cinq ou six pôles de centralité, en plus de Paris ». Ce souci de n'être point englouti par l'ogre parisien transcende les clivages. Au Grand Paris, l'UMP Jean-Marie Brétillon, maire de Charenton-le-Pont, préférait une structure qui fédère uniquement les maires de la première couronne. « Comme un contrepoids à puissance de Paris », explique-t-il.

Le maire UMP de Saint-Mandé, Patrick Baudoin, quant à lui, envisage « un organisme décisionnel au sein duquel siégeraient les collectivités locales et l'Etat. Le premier objet de cette structure pourrait être l'implantation du métrophérique ». Sous cette dénomination, un projet de rocade ferrée reliant les banlieues entre elles, à quelques kilomètres de Paris: ce sera l'enjeu principal de l'aménagement du territoire de l'Ile-de-France pour les vingt prochaines années. Un projet qui intéresse des millions d'habitants et qui risque de provoquer des débats plus enflammés encore que les petits Vélib'.

Ajouter à: Add to your del.icio.us del.icio.us | Digg this story Digg


Comparateur mutuelle santé prévoyance

Devis mutuelle santé 100% gratuit et sans engagement.
Remplissez une seule demande pour comparer les tarifs, les garanties et les niveaux de remboursements des meilleures mutuelles santé du marché et économiser jusqu'à 300 euros par an.